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cherche à atteindre, qui est l’apaisement des douleurs imméritées et le secours donné à la faiblesse irresponsable d’elle-même. Parmi les enfans malheureux, le plus malheureux, c’est l’enfant naturel, c’est celui qui a la tache originelle dans le berceau, dont le père reste inconnu et dont, bien souvent, la mère se dérobe. Qu’a-t-il fait, quelle est sa faute, en quoi a-t-il mérité d’être tenu en dehors du bienfait, en dehors de l’éducation, de l’enseignement, de l’apprentissage ? Aux causes antérieures à sa naissance, qui déjà lui rendront la vie pénible, pourquoi ajouter l’abandon qui peut-être lui fera la vie criminelle ? J’ai plaidé la cause des filles-mères, pour qui je me sens une commisération infinie ; cette cause, je ne l’ai point gagnée, mais je ne l’ai point tout à fait perdue, et je garde une gratitude profonde pour les femmes de bien qui ont, en partie, exaucé ma prière. La fille-mère est coupable cependant, mais comment l’enfant qu’elle met au monde pourrait-il l’être, et si le droit civil le tient à l’écart, le droit charitable ne doit-il pas le protéger ? Fermer les orphelinats et les écoles à ces pauvres petits équivaut à dire : « Tu es né dans des conditions mauvaises qui doubleront les chances néfastes de la destinée, tu seras plus à plaindre que quiconque ; par le seul fait de ton origine, tu seras moralement et matériellement exposé à toute sorte de périls, c’est pourquoi je le repousse, moi qui cherche à faire le bien et qui suis le dispensateur des largesses de la charité. » Les vices guettent l’enfant que l’on délaisse et le saisissent ; en ne le protégeant pas contre lui-même, on ne se protège pas contre lui, et le danger individuel devient rapidement un danger social. Rejeter l’enfant naturel dans ses misères, dans les tentations malsaines, dans les difficultés dont il se fera un argument en faveur du crime, c’est être injuste et c’est être imprudent.

J’ai été surpris de cet ostracisme dont Israël frappe les enfans d’extraction illégitime, j’en ai cherché la cause, et je ne sais si je l’ai trouvée en l’attribuant à l’un des préceptes de la Loi, qui, nécessaire jadis, lorsque l’on se préparait à la conquête de la terre promise, n’est plus aujourd’hui que lettre morte. Il est dit au Deutéronome (XXIII, 2) : « Qu’un bâtard ne vienne pas dans l’assemblée de l’Éternel ; que même sa dixième génération n’y vienne pas ! » Cette prescription a-t-elle si bien pénétré l’âme des descendans de ceux qui ont erré dans le désert qu’ils ne l’aient point encore rejetée, ou qu’ils ne l’aient point interprétée dans le sens précis, absolument limité, que Moïse lui a donné et qu’il a expliqué dans le verset suivant : « L’Ammonite ni le Moabite ne viendra pas dans l’assemblée de l’Éternel, même leur dixième génération n’y viendra pas. » Le mot mamzère prend ici sa signification irréductible ; il