Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coup, le prince Ferdinand de Cobourg se trouve placé entre la menace des explosions anarchiques qui peuvent se produire dans l’intérieur de la Bulgarie et le désaveu des puissances qui, avec des dispositions assez différentes peut-être, sont néanmoins obligées de maintenir provisoirement l’autorité du traité de Berlin.

C’est un singulier début de règne. Comment tout cela peut-il finir ? C’est là aujourd’hui la question, et s’il n’y avait eu cause que la couronne du prince Ferdinand de Cobourg, elle deviendrait ce qu’elle voudrait ou ce qu’elle pourrait, elle irait rejoindre la Couronne du prince Alexandre de Battenberg sans qu’il y eût à s’en émouvoir ; mais la gravité, le danger de cet incident bulgare est évidemment dans les antagonismes qu’il réveille, dans les conflits d’influences dont il est l’occasion ou le prétexte, dans tous ces troubles de l’Orient qui peuvent si aisément devenir les troubles de l’Occident. En apparence, il est vrai, les puissances ont l’air de s’entendre au moins sur un point : elles protestent, les unes et les autres, contre la violation des traités, elles ont toutes le sérieux et sincère désir de la paix. Au fond, il est bien clair qu’elles ne s’entendent qu’à demi, et elles s’entendraient bien moins encore s’il s’agissait de donner une sanction à des protestations communes, de prendre des mesures pour rétablir dans les Balkans l’ordre créé il y a près de dix ans au congrès de Berlin et si peu respecté depuis. L’Angleterre, l’Italie, l’Autriche, en reconnaissant, comme tout le monde, l’illégalité, l’irrégularité de ce qui se passe à Sofia, à Philippopoli, ne vont pas au-delà de déclarations assez platoniques, et ne seraient peut-être pas trop éloignées d’entrer en transactions avec les faits accomplis. La Russie, qui a son ascendant traditionnel à défendre dans les Balkans, met son habileté à identifier Sa cause avec l’intégrité de l’ordre légal Institué par la diplomatie européenne en Bulgarie. Sans sortir jusqu’ici de la politique <f expectative sévère qu’elle s’est faite depuis deux ans à l’égard des révolutions bulgares, elle est visiblement prête à l’action, et il faut convenir qu’il n’est pas facile de lui répondre lorsqu’elle dit que, si le traité de Berlin existe encore, il doit être respecté à Sofia comme ailleurs, que s’il est abrogé en Bulgarie, il est abrogé partout, et elle est elle-même déliée de Ses engagemens. La Russie est un puissant empire, qui poursuit ses desseins en Orient avec une singulière fixité de vues, en sachant au besoin les ralentir ou les subordonner aux intérêts supérieurs de sa politique en Europe, mars sans dévier jamais. De ce qu’elle fera dépend en grande partie le dénoûment de ces nouvelles complications bulgares et de l’aventure du prince Ferdinand de Cobourg. La France semble, pour le moment, marcher d’intelligence avec la Russie dans les affaires bulgares, comme elle a été d’accord avec elle dans l’affaire de la convention anglo-turque, — et, chose plus particulière, l’Allemagne, dans cette circonstance, parait se séparer de l’Autriche pour passer dans l’autre