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intentions du gouvernement, sur les alliances des partis, sur la réaction, sur la république, — sur l’équivoque, cette belle invention des polémistes radicaux. Qu’est-ce que l’équivoque ? Ce n’est pas, à ce qu’il paraît, bien facile à saisir et à définir, encore moins à dissiper, puisque M. le président du conseil a beau, depuis trois mois, y mettre toute sa bonne volonté, il se retrouve toujours dans cette alternative singulière : s’il se tait, on lui reproche son silence comme une conspiration, comme une tactique préméditée pour perpétuer l’équivoque, pour se ménager l’alliance de la droite ; s’il parle, s’il donne tous les èclaircissemens possibles, on lui répond que ce n’est pas sérieux, qu’il parle pour ne rien dire et qu’on ne le croit pas. Et, en définitive, aujourd’hui comme hier, dans ce temps de trêve comme dans les effervescences du mois dernier, la situation reste ce qu’elle est, telle que les circonstances l’ont faite, avec ses contradictions et ses faiblesses sans doute, comme aussi avec ses garanties momentanées d’apaisement dans un pays las d’agitations, affamé de repos et de tranquillité.

Que malgré tout il reste d’une certaine manière une équivoque dans cette situation, c’est bien possible. Elle tient à ce que les partis qui se sont sentis évincés et déçus dans les dernières crises, qui gardent l’amer ressentiment de leur déconvenue, ne veulent pas se rendre à la vérité des choses, ne peuvent se résigner à subir un ministère qui a accepté la mission de n’être pas leur serviteur, de porter au pouvoir une pensée d’équité conciliatrice et libérale, de s’occuper avant tout des affaires du pays. Ce n’est pas, dans tous les cas, la faute de M. le président du conseil, qui, depuis trois mois, n’a laissé échapper aucune occasion d’avouer nettement, résolument, toute sa politique. Puisqu’on le voulait, il s’est exécuté encore une fois, il n’y a que peu de jours, avant de partir pour la Suisse, dans un banquet qui lui a été offert à l’hôtel Continental, par des commerçans et des hommes d’affaires, bijoutiers et fabricans de jouets. Il a parlé simplement, librement, comme parlent les ministres anglais dans les banquets de ce genre.

Il y a deux choses dans ce discours de l’hôtel Continental. Il y a un programme économique tracé avec autant d’art que de mesure, avec une singulière intelligence des questions les plus délicates et les plus complexes. M. Rouvier s’est expliqué sur tout, sur les économies du budget, sur les réformes administratives et fiscales, sur une répartition plus équitable des impôts ; il a tout abordé en homme d’une expérience avisée. Les réformes sérieuses et pratiques, celles qui peuvent être une amélioration réelle sans risquer de devenir un bouleversement, il est prêt à les réaliser, — si on lui prête vie ; celles qui ne sont que des chimères puériles ou périlleuses, il les désavoue sans détour. Il n’a pas caché ses répugnances pour un système d’impôt sur le revenu, qui, au mépris des plus saines traditions de la révolution