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pensé que le temps était venu, dans le programme de son art démocratique et social, de renouveler aussi les moyens de la scatologie. Et il a bien quelque droit de s’étonner ou de s’irriter même qu’en lui reprochant ses effets on les lui dérobe, mais les naturalistes ont aussi celui de s’en plaindre, et qu’en introduisant dans la Terre cet élément comique, il ait achevé de les compromettre ; — s’il assurait d’ailleurs le succès de son roman.

C’est dommage ; et pour nous, qui nous n’avions guère mieux attendu de M. Zola, de ses exemples, de ce qu’il prétendait lui-même nous faire admirer dans ses romans, nous avions toutefois espéré d’autres suites et de plus heureux résultats des combats qu’il a livrés. Il nous avait semblé qu’au lieu de se servir de la nature, comme nos romantiques, pour la défigurer, peut-être serait-on tenté de l’imiter de plus près, de l’étudier plus consciencieusement, avec plus d’amour et de naïveté, de l’exprimer enfin plus fidèlement ; et ainsi qu’on pourrait rendre à l’art, avec son véritable objet, son inépuisable matière. On l’a bien fait en peinture, où les choses ne se sont gâtées que justement du jour où les imitateurs de M. Zola s’y sont mis ! Dans la poésie, maintenant que l’on disposait d’un instrument plus souple, nous avions donc espéré que l’on voudrait imiter et serrer de plus près l’exact contour de la réalité ; nous avions cru qu’au théâtre, on pourrait se débarrasser des conventions inutiles, pour n’en respecter que les nécessaires, qui ne sont pas plus de deux ou trois ; et, dans le roman, nous avions cru que la vie contemporaine était assez complexe, assez curieuse à étudier pour que l’imitation en pût suffire à plus d’un chef-d’œuvre. Mais, autant en devait emporter le vent !

Le tempérament du chef de l’école a été plus fort que ses conseils. Tout en continuant d’ailleurs de défendre violemment ses doctrines, injurieusement même au besoin, M. Zola, — dont je ne connais, pour moi, que le premier roman : la Fortune des Rougon, où il y ait quelque ombre de naturalisme, — enfermait soigneusement ses règles sous six clés, comme l’autre, quand il ajoutait un nouveau tome à l’histoire de ses Rougon-Macquart. Plus il prêchait le naturalisme, plus il retournait au romantisme, d’où il était sorti, d’ailleurs, et dans lequel il finira. Mais, en attendant, les jeunes gens l’imitaient, ils essayaient surtout d’imiter son succès, et tous ensemble ils achevaient de tuer sous eux le naturalisme. Aujourd’hui, le naturalisme n’a tenu aucune des promesses qu’il nous avait faites ; mais M. Zola, lui, a réalisé toutes les craintes qu’il nous inspirait ; et comme il a eu l’art de lier la cause du naturalisme à celle de ses romans, c’est le naturalisme qui paiera pour M. Zola ! En quelque lieu du monde qu’il y ait encore un vrai naturaliste, je comprends sa douleur.