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substitué plus audacieusement à la réalité les visions obscènes ou grotesques de son imagination échauffée. Nulle conscience et nulle observation, nulle vérité ; nulle exactitude, tous les effets faciles et violens, tous ceux du vaudeville et ceux du mélodrame ; des scènes inouïes de brutalité ; toutes les plaisanteries qui passent à Grenelle ou du côté de Clignancourt pour des formes de l’esprit ; des images de débauche, des odeurs de sang et de musc mêlées à celles du vin ou du fumier, voilà la Terre ; et voilà, va-t-on dire, le dernier mot du naturalisme ! Si M. Bonnetain ou M. Margueritte réussissent maintenant à le tirer de là, ils n’auront pas fait peu. Je crains seulement pour eux qu’il ne leur fallût, — dirai-je plus de talent ? — mais un autre talent à coup sûr que celui dont leurs œuvres nous ont donné les preuves jusqu’ici.

Sont-ce, en effet, des paysans, que les personnages du dernier roman de M. Zola ? Mais il faudrait d’abord pour cela qu’ils fussent des hommes, et ce n’en sont point, ni même des brutes, mais seulement des mannequins. Dans l’Œuvre, dans Germinal, dans la Joie de vivre, on pouvait encore, en y regardant bien, discerner quelque trace et reconnaître au moins quelque effort d’observation, mais ici, c’est vainement qu’on en chercherait l’ombre ; et les jésuites d’Eugène Sue, les mousquetaires d’Alexandre Dumas, les Burgraves eux-mêmes de Victor Hugo sont plus vrais, moins fantastiques, plus vivans peut-être que les paysans de M. Zola. Au moyen des journaux, des faits divers et des comptes rendus de cours d’assises, au moyen des commentaires dont le « chroniqueur judiciaire » ne manque jamais à les faire suivre, — pour opposer, comme l’on sait, la dépravation cynique des campagnes à l’honnête, l’élégante et l’inoffensive corruption du boulevard, — M. Zola s’est fait une idée du paysan français, et composé méthodiquement un dossier d’horreurs villageoises. C’est ce qu’il appelle ses documens. On y voit qu’en telle année, dans telle commune, tel département, un père de famille ayant en l’imprudence de résigner ses biens à ses enfans, ceux-ci, las un jour de nourrir une bouche inutile, l’ont relégué sous un toit à porcs, ou même aidé à mourir plus vite. On y fit qu’en telle autre année, dans un département voisin, et ainsi qu’il est prouvé par les débats ou l’aveu du coupable, un beau-frère, pour éviter la division d’un commun héritage, a violé sa belle-sœur mineure et l’a ensuite étranglée. On y trouve encore qu’une femme a mêlé de la mort aux rats dans la soupe aux choux de son homme ; que deux frères, faute de s’entendre, ont vidé à coups de fusil une question de bornage ; qu’une bru s’est débarrassée d’une belle-mère importune à coups de serpe ou de fléau. Et on y apprend aussi, par occasion, des choses qu’en effet on ignorait, jusqu’à M. Zola : que le fumier ne sent pas bon ; que si l’on boit trop de vin ou de cidre, on se grise ; qu’il est arrivé quelquefois à la grêle de hacher les blés ; qu’il est plus dur de