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tributaire de l’Espagne et du Portugal. Ce livre fit, pour les Provinces-Unies, plus et mieux que n’eût pu faire une flotte, et, dans le grand silence des intérêts économiques, il retentit comme une voix proclamant un principe nouveau, une vérité perdue et retrouvée : la liberté des transactions commerciales.

À ces théories séduisantes répondaient des résultats singulièrement éloquens. Dès le début, la compagnie distribuait à ses actionnaires 22 pour 100 de leur capital. Elle ne devait pas s’en tenir là, et leur répartit jusqu’à 60 pour 100. En 1718, on se disputait les parts à 1,200 pour 100, soit 36,000 florins pour une part de 3,000. Tel était le faste déployé par ses agens, même subalternes, que la compagnie dut édicter des lois somptuaires réglementant le nombre de chevaux, de voitures, de serviteurs qu’ils pouvaient avoir, ainsi que les dépenses en vêtemens, bijoux et réceptions qu’ils pouvaient faire. Avec la prospérité surgissaient des périls inattendus : à l’intérieur, la corruption, le désordre, les concussions ; au dehors, la jalousie des rivaux, l’hostilité de l’Angleterre, l’irritation des indigènes pressurés.

Mais le plus redoutable de ces périls éclata soudainement du côté où on l’attendait le moins, du choc imprévu de la race européenne avec la race chinoise. Tolérés, acceptés à Java, où leur souplesse les avait fait bien venir, actifs et laborieux, humbles et patiens comme ils le sont partout où ils se trouvent en contact avec la race blanche, les Chinois, que le succès et l’or attirent toujours, affluaient à Batavia, s’enrichissant des miettes qui tombaient de cette table de festin, accaparant tous les petits métiers, y excellant, dédaigneusement mais largement payés par des maîtres rapidement enrichis, insoucians des détails de l’existence. Nombreux, ils se crurent les plus forts ; las de ramasser, ils voulurent prendre, et leurs convoitises allumées l’emportèrent sur leur traditionnelle prudence. En 1724, une insurrection formidable éclata à Batavia et mit en sérieux péril la domination hollandaise. Heureusement le gouverneur-général Walkenier fut à la hauteur des circonstances. Après une lutte acharnée de plusieurs jours, la discipline européenne l’emporta, et 10,000 Chinois massacrés payèrent de leur vie leur imprudente tentative.

Cette puissante compagnie des Indes orientales à laquelle la Hollande fut en partie redevable de pouvoir résister avec succès à l’Espagne, de jouer un rôle important dans l’histoire et d’aider l’Europe à s’affranchir d’un joug odieux, vécut jusqu’en 1798, époque où ses possessions firent retour à la Hollande. Ce n’était déjà plus le grand empire commercial de 1720. Les Anglais occupaient Ceylan, Sumatra, Bornéo, le Bengale, les Moluques et le Cap ; mais ce qui restait aux Hollandais et ce qui allait leur revenir