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madréporiques, n’étalent pas le même luxe de végétation que des terres au relief plus considérable, au sol plus riche. Les naturalistes voyageurs ont constaté encore un autre grand fait ; c’est que la flore de l’Océanie tropicale se compose en général d’espèces identiques ou analogues à des espèces du grand archipel d’Asie. D’après quelques-uns, cet archipel et les terres des Papous, — Nouvelle-Guinée et îles limitrophes, — seraient le centre d’une végétation qui se serait répandue dans le reste de l’Océanie, de l’occident vers l’orient. Le règne végétal, si pompeux sur ces terres, perd successivement de sa richesse à mesure que l’on s’avance vers l’est ; ce fait est également démontré par les relations de tous les voyageurs[1]. »

Le rôle de ces courans comme agens de colonisation n’est pas moins.important. Il n’est pas douteux qu’ils aient contribué au peuplement des îles situées sur leur parcours, et qu’ils aient à plusieurs reprises entraîné des rivages asiatiques des barques de pêcheurs surprises au large par des bourrasques subites. J’ai pu constater le fait par moi-même à l’Ile d’Oahu, en 1860. Une jonque japonaise, emportée par le courant et les vents, vint échouer à l’extrémité ouest de l’Ile. Elle contenait quatre hommes et trois femmes mourant de faim et de soif. Recueillis par les indigènes et transportés à Honolulu, cinq survécurent, dont deux furent rapatriés sur leur demande ; les trois autres se fixèrent dans leur nouvelle patrie. Non-seulement les annales havaîennes relatent beaucoup de faits analogues, mais les recherches auxquelles je me livrai alors, celles que je fis faire plus tard et que facilita ma situation de ministre des affaires étrangères du royaume havaïen, me confirmèrent dans l’idée que la Polynésie a été peuplée en grande partie par les indigènes des grands archipels de la Malaisie.

Je crois que, partie de Sumatra, cette émigration est venue d’abord s’établir à Bornéo ; de là, traversant le détroit de Macassar, large de 200 milles, elle arrive aux Célèbes ; elle atteint ensuite la Nouvelle-Guinée, située à 8 degrés de distance, mais les îles de Bassey et de Céram lui servent de points de relâche pour cette traversée. De la Nouvelle-Guinée, elle gagne les Nouvelles-Hébrides, après un parcours de 1,200 milles tout semé d’îles ; à 500 milles plus loin, elle déborde sur les îles Fijis ; à 300 autres milles, elle occupe les îles des Navigateurs ; des Navigateurs au groupe de Hervey, 700 milles ; de là aux îles de la Société, 400 milles. La plus longue des traversées, sans point de relâche, entre Sumatra et Tahiti, est celle du groupe Hervey aux îles de la Société, mais la tradition des

  1. H. Jouan. Bulletin de la Société linnéenne de Normandie. 3e série, 6e volume.