s’applaudissait de l’en avoir privé, de longs mémoires furent échangés entre les deux cours ennemies, et la question, portée successivement devant un conseil de guerre et devant les juristes, avocats de la couronne britannique, n’eût peut-être jamais été résolue si la victoire du maréchal de Saxe n’eût fourni un moyen sommaire de la trancher. La France déclara nettement qu’elle n’appliquerait la faveur du cartel d’échange à aucun des nombreux prisonniers faits sur le champ de bataille de Fontenoy, si on continuait à refuser d’en laisser bénéficier Belle-Isle. Force fut bien alors de s’exécuter, pour ne pas laisser trop de familles anglaises privées de leur chef ou de leurs membres les plus chers. Mais un peu honteux de paraître avoir cherché une mauvaise chicane et de ne s’en départir que par contrainte, le cabinet anglais déclara à son tour qu’il rendrait l’illustre captif à sa patrie par égard pour son rang élevé, et parce que l’Angleterre ne craignait aucun de ses ennemis, sans recevoir de lui aucune rançon : générosité qu’à son tour le cabinet français se refusa à accepter.
Les ministres anglais, d’ailleurs, le duc de Newcastle et son frère Pelham, le duc de Grafton, le comte d’Harrington, étaient tous des seigneurs ou des gentilshommes appartenant à la confraternité aristocratique qui régnait alors d’un bout de l’Europe à l’autre. La guerre elle-même n’interrompait pas dans ce monde d’élite les bonnes relations héréditaires d’amitié et même de famille. Il leur en avait coûté d’avoir à se montrer si maussade pour un homme de si bel air et de si grand monde que Belle-Isle ; aussi, pour effacer cette impression fâcheuse, se mirent-ils en devoir avant son départ de le combler de politesses. On le pressa de venir de Windsor à Londres, où il n’avait pas eu permission de mettre le pied tant qu’il était en surveillance ; il y fut invité, choyé dans les meilleures maisons de la cour et de la cité. Ce fut pendant quelques jours la personne à la mode que tout le monde voulait voir, et, comme on disait déjà alors, le lion de la saison. — « Nous sommes venus diner à Pultney, écrivait-il à la maréchale sa femme (avec qui on ne l’avait guère jusque-là laissé correspondre), où l’on m’a donné une fête complète. La maison est située sur le bord de la Tamise ; M. Vaneck. (c’était le nom du propriétaire), qui est extrêmement considéré, dans la cité de Londres, avait engagé, avec la permission de la régence, les aldermen d’envoyer leurs trois plus magnifiques barques, remplies deux de tous les principaux habitants de la cité et l’autre de dames, avec tous leurs pavillons et quantité d’instrumens, qui vinrent passer et repasser sous la terrasse où j’étais, et s’y arrêtèrent ensuite pour faire toute sorte de politesses. Je fis donner magnifiquement, comme il convenait, pourboire à tous les