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un langage plein d’onction, par de longues dépêches écrites de sa main. Ces jours-là, ils trouvaient, suivant l’expression du bon Van Hoey, que le mariage avec l’Angleterre faisait une vie de ménage bien difficile, et que le proverbe a raison de dire que qui a compagnon a maître. Que ces inspirations pacifiques vinssent à prévaloir, qu’à la suite d’une émeute comprimée ou d’une panique causée par une marche en avant de Maurice de Saxe, on vit ces timides bourgeois pressés de se jeter aux pieds de Louis XV, en faussant compagnie à leurs alliés, qu’adviendrait-il alors des restes de l’armée anglaise enfermée et comme bloquée sur une terre ennemie ? Quel serait le sort du roi lui-même, qui s’obstinait, malgré les avis répétés de ses ministres, à prolonger son séjour à Hanovre, quand il ne pourrait plus communiquer avec son royaume qu’à travers les parages orageux de la Mer du Nord[1] ?

Ces alarmes, au fond assez fondées et exploitées chaque jour à Londres par la pressentaient grossies encore par des rumeurs dont le sujet semble plus chimérique, mais qui n’en étaient peut-être que plus facilement accueillies. On répandait le bruit qu’une flotte française était déjà réunie entre Brest et Rochefort, prête à embarquer un corps d’armée qui viendrait prendre terre au premier jour sur le sol de l’Angleterre. On sait avec quelle vivacité s’empare, à certains momens, des imaginations de nos voisins, cette crainte de l’invasion française, contre laquelle il semble pourtant que la nature les ait suffisamment garantis, et bien qu’une expérience séculaire doive les rassurer. Il semble même qu’ils venaient d’éprouver combien ce péril était peu à craindre, puisque une idée de ce genre, un instant accueillie l’année précédente par le gouvernement français, avait été découragée par la seule présence de quelques bâtimens anglais devant Dunkerque. Mais ce sont comme des accès de fièvre intermittente, qui, coupés une fois, n’en reviennent qu’avec plus de force après quelque intervalle, et, quand l’alarme est donnée, elle devient d’autant plus aisément générale qu’en temps ordinaire la sécurité étant plus grande, nulle précaution suffisante n’est prise d’avance contre une éventualité si peu probable. Le vaste territoire de la Grande-Bretagne apparaît alors comme un grand corps désarmé prêt à être percé de part en part. Dans le cas présent, on comptait avec effroi les vides faits dans les rangs de la petite armée royale par les détachemens envoyés en Flandre et par l’absence de ses meilleurs officiers ; on regardait avec inquiétude les ouvrages défensifs des côtes dégarnis et presque

  1. Van Hoey à d’Argenson, 4 juin. — la Ville à d’Argenson, 18, 25 Juin, 16 juillet. — D’Argenson à La Ville, 15, 22 Juillet 1745. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)