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sonnant en même temps la charge et la victoire. Agir, agir sans cesse, donner l’exemple du dévoûment, prendre partout l’initiative, marcher sagement, progressivement, ne pas mêler l’ivraie de la politique, fût-elle conservatrice, au pur froment de l’agriculture, se cantonner sur le terrain purement agricole, et économique, voilà le programme. Rien de plus simple que les formalités à remplir : réunir les agriculteurs d’un canton dans un local quelconque, faire approuver et signer les statuts, nommer un bureau, et voilà le syndicat formé ; pour qu’il ait la personnalité civile, il suffira de déposer à la mairie les statuts avec les noms des directeurs. Les groupes cantonaux peuvent se concerter pour constituer le syndicat d’arrondissement, les syndicats d’arrondissement formeront le syndicat départemental. Aucune obligation de débuter par le canton plutôt que par la commune ou le département. Les uns estiment qu’il vaut mieux aller du petit au grand, que le syndicat doit se mouvoir dans un cercle restreint, entre gens du même terroir, ayant un intérêt identique ; les autres veulent une sphère plus étendue : les deux modes, ont leur raison d’être. Il y a en agriculture ; observe M. Sénart, des intérêts généraux et des intérêts particuliers qui exigent des instrumens appropriés. Pour les premiers, la puissance sera en raison du nombre ; les seconds réclament une solidarité plus étroite, une plus grande intimité. A chacun son genre, à chacun sa tâche. Il faut s’accommoder aux circonstances, aux tendances individuelles, aux besoins de chaque région, faire ce que font les époux qui se marient : réviser le contrat de mariage en y introduisant ou retranchant certaines clauses, au gré de leurs sentimens, de leurs inclinations. L’instrument est trouvé ; il se prête aux modifications avec une souplesse toute protéenne.

M. Deuzy et ses adeptes sont possédés de leur idée ; ils ont la foi, une foi sincère et agissante : « Nous sommes le nombre[1], s’écrie M. Deuzy, nous serons la force. Quand Lacordaire, en 1848, parut, à la chambre, enveloppé de sa robe blanche de dominicain, à ceux qui s’étonnaient de sa présence en un tel lieu, il répondit : « Je suis une liberté. » La loi du 21 mars 1884 n’est pas seulement une liberté ; si vous savez en user, c’est le relèvement et la prospérité de l’agriculture. Nous voulons, avec l’aide d’une puissante association, fournir aux cultivateurs les moyens de soutenir la lutte contre la concurrence étrangère ; nous voulons que nos fabriques, nos usines, nos ateliers, rallument leurs feux ; que les fermes abandonnées retrouvent, avec leurs habitans, le mouvement et la

  1. Discours de M. Deuzy au conseil général du Pas-de-Calais et à la Société des agriculteurs de France.