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réalités fort mesquines[1]. A peine sait-on leur nombre ; aucune statistique officielle n’a révélé le chiffre des adhérens, presque toujours minime si on le compare à celui des membres de la profession ; ainsi, le syndicat des charpentiers parisiens groupe 200 ouvriers sur 4 ou 5,000 ; celui des tapissiers, 500 sur 2,000 ; les scieurs de long, 50 sur 5,000 ; les ouvriers en voitures, 300 sur 20,000 ; les terrassiers, 158 sur 15,000 ; les couvreurs, 90 sur 14,500 ; les maçons, 750 sur 60,000 ; les comptables, 100 sur 50,000. Voilà les chiffres qui résultent de leurs dépositions dans l’enquête de 1884 : comme on pense, ils cherchent plutôt à exagérer qu’à diminuer la force de leurs sociétés. On syndicat, dit « l’Académie des cuisiniers, » prétend avoir 500 membres dispersés par toute la terre, mais on entend un autre syndicat de cuisiniers qui affirme que ces 500 membres se réduisent à 5 ; lui-même confesse que sur les 14,000 cuisiniers de Paris, il n’a pu en grouper que 50. Le nombre des membres, déjà si faible, décroit, les cotisations rentrent mal ; on se retire, disent les graveurs, tombés de 1,500 à 250, parce qu’on ne voit aucun avantage immédiat dans le groupement. Le citoyen Lyonnais, qui se vantait d’avoir organisé une quinzaine de syndicats, ajoute : « Ce qu’il a fallu d’efforts pour cela est inouï ; vous ne vous faites pas une idée de la patience et du temps qu’il faut dépenser pour amener les ouvriers français à s’unir. » Quand on réfléchit qu’ils ont laissé tomber en désuétude l’antique institution du compagnonnage, on s’étonne un peu moins de cet insuccès. Un humoriste a écrit que l’Anglais aime et défend la liberté comme sa femme légitime, l’Allemand comme une vieille grand’mère, le Français comme une maîtresse adorée pour laquelle il se bat, jure un amour éternel et qu’il oublie bien vite. Ainsi de notre travailleur des grandes villes ; l’attrait de la nouveauté, la camaraderie l’engagent dans une association, mais ce beau feu de paille a bientôt brûlé et il se retire : tout ou rien, voilà la devise. Le Moniteur des syndicats ouvriers avoue qu’à Paris la majorité échappe à une organisation d’ensemble ; chez nous, dit-il, le groupe comme l’individu a le désir de rester lui-même et d’agir par sa propre inspiration. M. Floquet évaluait à 60,000 le nombre des ouvriers syndiqués pour Paris seulement : estimation de pure fantaisie, digne peut-être de celle de M. Allain Targé sur la fortune des congrégations romaines, d’autant plus suspecte que le préfet ; de-police lui-même

  1. Voir, pages 325 et suivantes, le très intéressant ouvrage de M. Hubert Valleroux, les Corporations d’arts et de métiers, et son étude sur les associations professionnelles (Bulletin de la Société de Législation, comparée, Janvier 1886). Le journal la Corporation cite deux syndicats qui viennent de se former dans des conditions assez originales : le syndicat des marchands de mouron parisiens et celui des ramasseurs de bouts de cigares.