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Plus largement encore se manifestaient la tolérance, la faveur même du gouvernement pour les chambres ouvrières : c’est elles qu’il chargea, en 1878, d’instituer une exposition ouvrière à côté de la grande Exposition universelle, de désigner les ouvriers qu’il enverrait à ses frais visiter les expositions étrangères. A plusieurs reprises, il mande leurs délégués, leur offre des travaux, des subsides, il institue au ministère de l’intérieur un bureau des associations professionnelles destiné à servir de lien entre elles et l’administration, à leur fournir des conseils sur les moyens de s’établir c’est-à-dire de violer la loi de 1791, traitée en véritable Géronte de la comédie politique.

Il ne restait donc qu’à, mettre d’accord le droit et la pratique à enregistrer les faits accomplis ; désormais les syndicats vivront au grand jour, sans privilèges, sans monopoles, plaçant le patron et l’ouvrier, l’employeur et l’employé, sur un pied de parfaite égalité réalisant l’union de deux principes trop longtemps opposés l’un à l’autre : la liberté individuelle, la liberté d’association. Personne n’est forcé d’y adhérer, chacun en sort quand il veut ; grâce à la personnalité civile, ils peuvent acquérir, posséder des biens propres prêter, emprunter, ester en justice, multiplier ces utiles institutions auxquelles d’autres pays doivent leur prospérité : caisses de retraites, de secours, de crédit mutuel, sociétés coopératives bureaux de renseignemens, de placement, de statistique, des salaires Mais ces résultats ne seront obtenus que petit à petit, car il faut « ne pas être envieux des succès du temps et lui laisser quelque chose à faire. »

Les champions des syndicats n’admettent pas que l’association des ouvriers puisse porter atteinte à la liberté des isolés, des dissidens. Certes, beaucoup ont été des sociétés de résistance mais il en est de fort modérés, dont l’accord avec les patrons a eu les plus heureux effets. Ignore-t-on que les bons ouvriers souffrent bien plutôt que les mauvais du défaut de liberté, parce qu’ils sont timides, craignent les lois, agissent au grand jour, tandis que les autres se complaisent dans l’intrigue secrète, pénètrent dans la place et font brèche ? Comme toute chambre, tout parti, le monde ouvrier a sa droite, son centre, son extrême gauche ; celle-ci à peu près seule a agi jusqu’à présent ; la droite, le centre, ont désormais le point d’appui qui leur manquait pour résister aux meneurs ; Il y aura encore des frottemens, des complications, dus à l’impatience à l’ignorance des uns, à l’égoïsme des autres ; mais convient-il de faire payer à tous les fautes de quelques-uns ? Irez-vous interdire le vin à cause des ivrognes, la chasse sons prétexte crue des maladroits blessent quelquefois leur voisin, la tribune parce que les bavards en abusent ? La liberté d’association est une liberté