le pouvoir avec ses amis de la gauche sans craindre de s’allier au besoin avec la droite, et finissant par se faire à lui-même la position d’une sorte de médiateur des opinions. M. Depretis n’aimait point certainement les aventures ; il n’était peut-être pas pour les vastes combinaisons, pour les alliances compromettantes, pour les expéditions lointaines. Il laissait un peu faire ce qu’il ne croyait pas pouvoir empêcher, sauf à en atténuer les dangers par sa sage conduite. Ce n’était pas si l’on veut une grande politique ; c’était une politique qui avait assurément son originalité, qui était un mélange de finesse, de bon sens, de tactique, de modération pratique, et sans être un homme d’état d’un ordre supérieur, le dernier président du conseil du roi Humbert a peut-être réussi en définitive à préserver l’Italie de plus d’une crise périlleuse. Il a eu surtout l’art de créer et de prolonger une situation où il a paru être le ministre nécessaire, l’homme à ressources du roi et du parlement. Le « vieux » de Stradella était devenu le conseiller, l’arbitre indispensable dans toutes les complications.
Avec lui disparaît un des derniers survivans d’une génération qui a vu naître ou qui a contribué à faire l’Italie nouvelle, et qui a déjà presque tout entière quitté le monde, de cette génération qui a compté les Cavour, les d’Azeglio, les La Marmora, les Boncompagni, les Rattazzi, les Lanza, les Sella, les Minghetti : tous morts aujourd’hui. Il était de plus le dernier représentant de la tradition piémontaise qui est restée jusqu’ici, à travers toutes les mobilités, la force de la monarchie de Savoie. Comment sera-t-il maintenant remplacé ? Quelles seront les conséquences de cette disparition dans les affaires italiennes ? C’est la question aujourd’hui, et c’est ce qui fait de la mort du dernier président du conseil un événement d’une certaine importance. De quelque façon que se dénoue la crise ministérielle ouverte à Stradella, qu’elle aille jusqu’à un remaniement complet du cabinet ou que tout se berne au remplacement de M. Depretis par M. Crispi à la présidence du conseil et au ministère des relations extérieures, c’est toujours une crise qui peut déterminer des déplacemens d’influences, raviver les conflits parlementaires, introduire un esprit nouveau dans le gouvernement. Cette mort du seul chef qui en imposât aux partis, elle a d’autant plus de gravité dans les circonstances présentes que l’Italie se trouve engagée dans bien des affaires sérieuses, délicates, de politique extérieure ou intérieure.
Elle a ce qu’on peut appeler son expédition lointaine, ses velléités de guerre et d’extension sur les bords de la Mer-Rouge, où elle a l’échec de Massaouah à réparer, où elle a envoyé des forces nouvelles, et ce n’eût peut-être pas été trop de toute la prudence d’un homme comme le dernier président du conseil pour détourner son pays des entreprises disproportionnées et périlleuses du côté de l’Abyssinie. Elle a aussi ses engagemens au centre de l’Europe, avec les grands empires