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Mais, dans l’intervalle de la faute et du châtiment à l’acte de clémence, tous les chroniqueurs s’étaient mêlés de l’affaire. C’était, par malheur, une semaine maigre, une semaine dénuée de grands faits historiques, entre la fin du procès Pranzini et les préliminaires du « duel Boulanger-Ferry. » On allait crier famine ; on cria, d’une commune allégresse, haro sur Le Bargy. Quelqu’un, que j’en veux croire, me jure que ce Benjamin d’entre les sociétaires, pendant ces mauvais jours, eut la chance de ne lire aucun des articles imprimés à son intention : — ceci, d’ailleurs, n’est qu’une grâce d’état : — qu’il ne put toutefois en ignorer l’existence, et qu’il en fut affligé. Non pour lui-même, entendez bien : il avait regagné les bonnes grâces de notre doyen, et, n’eût-il pas pris cette précaution, il était, pour l’avenir, assuré de notre justice ; à la première occasion qui lui serait donnée de montrer son talent, aucun de nous ne lui tiendrait rigueur. Mais il avait envie de pleurer sur sa profession ; issu de bonne bourgeoisie, raconte mon auteur, il témoignait une mélancolique surprise de la pesanteur et de la dureté des blâmes dont il avait senti l’ensemble : « Hé ! quoi ! gémissait-il, supposez qu’un citoyen de mon âge, exerçant un autre art que le mien, supposez qu’un peintre, un sculpteur, ait adressé à un considérable critique d’art, à M. Paul Mantz, les mêmes sottises que j’ai adressées à M. Sarcey ; aurait-il subi le même traitement ? »

Ce jeune homme n’avait pas lu, non plus que les chroniques des méchans, le récent volume de M. Gaston Maugras, dont le titre seul est une protestation généreuse : les Comédiens hors la loi. Pour ce qui est du livre, au moins, il avait tort : s’il l’avait connu, il aurait éprouvé moins d’étonnement et de chagrin. Il se fût trouvé mieux préparé à un désagrément de ce genre ; il eût considéré que son sort, à tout prendre, n’était pas si déplorable, et que si, dans la circonstance, il s’était montré trop jeune, il n’avait pas à se plaindre d’être venu « trop tard dans un monde trop vieux ; » il eût estimé enfin que la bénigne fortune, pour lui et pour les siens, n’avait pas dit son dernier mot, et qu’un observateur pouvait leur prédire des temps plus heureux encore :

Quelle Jérusalem nouvelle, etc. ? ..


— Une Jérusalem où les fils de M. Drumont aimeraient tous les Juifs comme leurs égaux, où les enfans de nos chroniqueurs donneraient aux comédiens le baiser de paix avec ces paroles : « Christ et Voltaire sont venus pour vous aussi bien que pour nous ! » L’ouvrage de M. Maugras est le martyrologe des acteurs, ou plutôt, — puisque ces militans deviennent triomphans dès ce monde, et que ce bijou honorifique est présentement le signe de leur triomphe, — ce long mémoire est leur chemin de la croix. C’est une histoire