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demander aux terres lointaines, ce furent l’or du Nouveau-Monde, les pierres précieuses de Ceylan et de l’Afrique australe, les épices de la Jamaïque, l’écaille des Bahamas, les bois de teinture du Brésil, l’acajou du Honduras, les phosphates du Canada et du Pérou, en un mot, tous ces produits que l’on récolte sans culture. Si plus tard ils ont exploité la canne à sucre dans la Guyane et aux Indes-Occidentales, à Maurice, Natal et aux îles Fijis, s’ils ont demandé le coton aux Indes, la laine à l’Australie et à la Nouvelle-Zélande, le blé au Canada, ce n’a été ni comme agriculteurs ni comme laboureurs, mais comme commerçans, en compte courant avec la mère patrie, acheminant sur ses ports les matières premières, en important les matières fabriquées, employant au labeur manuel les indigènes des pays conquis, les remplaçant par d’autres plus souples et plus dociles, nègres, puis Chinois, là où ils les supprimaient en tant que réfractaires à la domination britannique ou incapables d’un travail régulier.

Pour l’Angleterre, la valeur d’une colonie se mesure au chiffre de son commerce d’échange avec la métropole, et surtout à la consommation de produits d’origine anglaise. Dans le siècle dernier, dès 1776, elle exportait déjà dans ses colonies américaines pour 150 millions d’objets fabriqués, un peu plus du tiers de son exportation totale. En 1876, un siècle plus tard, son exportation totale atteint le chiffre de 5 milliards, dont 1 milliard 625 millions, près du tiers, s’écoule dans ses colonies. La proportion est donc restée à peu de chose près la même, et si, dans cet intervalle, elle a perdu les États-Unis, elle a, en revanche, colonisé une partie de l’Océanie, étendu sa domination aux Indes.

Mais certains symptômes qui ne sauraient échapper à ses yeux clairvoyans la font redoubler d’efforts. Elle sent que sa situation commerciale n’est plus la même, que son incontestable suprématie est aujourd’hui menacée, d’abord par ses anciens colons américains devenus ses rivaux, puis par l’Allemagne, qui, sur tous les points, et en Océanie surtout, lui fait une sourde et redoutable concurrence. Pendant un long séjour de quatorze années dans cette partie du monde, nous avons pu suivre de près le développement et les progrès de l’immigration allemande. C’était avant la guerre de 1870. L’Allemagne n’avait pas encore conquis cette suprématie militaire et politique qui double ses forces en doublant son prestige, et cependant, déjà, l’impulsion était donnée. Sur toutes les côtes, dans les ports les moins connus comme dans les plus considérables, on voyait surgir des comptoirs allemands alimentés d’abord de produits germaniques, pacotilles modestes, empruntant le pavillon anglais ; puis, peu à peu, ces comptoirs prenaient plus d’importance,