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la morsure est mortelle, peuplent seuls ces solitudes. Le regard de ces animaux est triste comme celui des rares indigènes. L’eau manque, les pluies sont rares et parfois des sécheresses terribles déciment les troupeaux. Dans le district de Wagga-Wagga, M. Crawford mentionne l’absence de pluie dans les plaines pendant quatorze années. Certaines stations perdirent jusqu’à cent mille animaux tués par la soif[1].

À ce fléau les colons en ont ajouté un autre contre lequel ils luttent en ce moment. Enrichis subitement par la guerre de sécession aux États-Unis, qui fit hausser le prix des laines en arrêtant la production américaine, ils se trouvèrent tout à coup disposer de revenus considérables. Des goûte de luxe et de dépense s’introduisirent parmi eux. Imitateurs zélés des coutumes anglaises, ils se prirent de passion pour la chasse et fondèrent, en Australie et à la Nouvelle-Zélande, des sociétés d’acclimatation pour importer d’Europe des lièvres et des lapins. Ce fut une véritable rage, un vent de folie qui souffla sur la colonie. Empruntant à la législation anglaise ses mesures les plus rigoureuses, le parlement vota des lois contre la destruction de ces animaux, qui, introduits en nombre considérable, se multiplièrent avec une prodigieuse rapidité. Tout grand propriétaire n’eut plus qu’une idée : se créer une chasse réservée. Le sol et le climat convenaient si merveilleusement aux lapins qui, en Angleterre, ont de quatre à six portées par an, de trois à quatre petits, qu’en Australie ils eurent jusqu’à dix portées par an de huit à dix petits chacune. L’animal lui-même subit une transformation ; de petite taille et d’un poids moyen de deux livres et demie, il devint énorme et atteignit jusqu’à 10 livres. Vainement on tenta d’enclore les terrains de treillis de fer, ils creusaient par-dessous et gagnaient le large au grand désespoir des propriétaires qui redoublaient d’efforts et de soins pour en accroître le nombre.

Ils ont si bien réussi, qu’aujourd’hui cette peste désole la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Les jardins maraîchers sont dévastés ; des terrains qui produisaient, il y a quelques années, 150 boisseaux d’orge et de 75 à 80 de blé à l’hectare, durent être abandonnés, toute culture dans certain districts étant devenue impossible. M. Crawford cite l’exemple d’un grand propriétaire qui, après avoir dépensé 40,000 livres sterling, 1 million de francs, pour se débarrasser de ce fléau d’un nouveau genre, fut obligé d’y renoncer. Sur certaines fermes, on évalue leur nombre à des centaines de mille, et, chaque année, leur taille augmente avec leur nombre. D’une

  1. Travels in Australia ; J. Crawford.