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capitale, celle d’un officier qui avait levé son épée sur le maréchal. Louvois s’en indigne. Mais ce sera bien pis après lui, quand sa main de fer ne pèsera plus sur l’armée, quand des ministres et des généraux philosophes auront pris la place de ce grand commis et que la sensibilité du siècle aura détendu tous les ressorts du gouvernement. Dans le relâchement universel des mœurs, des idées et des croyances, il était fatal que la majesté de la loi subit le sort de la majesté royale. Fondées sur le même principe, elles étaient destinées à périr par les mêmes causes et sous l’empire du même mouvement d’opinion. Dès le milieu du XVIIIe siècle, on ne trouve plus personne aux armées pour concourir à la stricte exécution du code : commandant en chef, officiers-généraux ou particuliers, grand-prévôt, conseils de guerre, toutes les autorités mollissent ou ferment les yeux. Si les peines étaient plus douces, peut-être en requerrait-on l’application, mais leur sévérité même est cause que chacun se récuse et se dérobe. « On a, dit le maréchal de Saxe, une méthode pernicieuse qui est de toujours punir de mort un soldat pris en maraude ; cela fait que personne ne les arrête, parce que chacun répugne à faire périr un misérable. Si on le menait simplement au prévôt, qu’il y eût une chaîne comme aux galères et que les maraudeurs fussent condamnés au pain et à l’eau pour un, deux ou trois mois, qu’on leur fit faire les ouvrages qui se trouvent toujours à foire dans une armée, alors tout le monde concourrait à cette punition. A présent, il n’y a que les malheureux de pris. Le grand-prévôt, tout le monde détourne la vue quand ils en voient…[1]. » Qu’ajouter à cette peinture, et faut-il corroborer ce témoignage par d’autres exemples et d’autres preuves de l’adoucissement de la loi par les mœurs et des progrès de la philanthropie dans la législation militaire bien avant la révolution ? Je n’aurais que l’embarras du choix. Veut-on des textes encore ? Voici d’abord une ordonnance du 12 décembre 1775 qui substitue la chaîne à la peine de mort contre les déserteurs, et voici d’autre part celle du 1er juillet 1786 qui réduit leur châtiment à huit tours de baguettes[2] par cent hommes et à huit années de service supplémentaire en temps de paix ; à quinze tours par deux cents hommes et à seize années de service supplémentaire en temps de guerre. Ce n’est plus seulement de la douceur cela, c’est presque de la débonnaireté. Aussi laissez passer quelques années de ce régime, et vous en verrez les beaux résultats. A l’époque de

  1. Encyclopédie, au mot Voleurs.
  2. Cette punition consistait à faire administrer au délinquant, par un certain nombre de ses camarades, des coups de baguettes sur le dos.