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superstition, qui d’ordinaire peut seule le donner. Voici, par exemple, le dogme de l’immortalité de l’âme. Eh bien ! que sais-je de cette immortalité, et que sais-je de l’existence de mon âme que je suis impuissant à voir jamais séparée de mon corps? La croyance aux fantômes est d’autre part une superstition. Cependant, si j’étais bien sûr qu’il y a des fantômes, ou si j’étais assez heureux pour en voir quelqu’un, cela m’aiderait singulièrement à comprendre ce dogme, mieux qu’à le comprendre, à en aimer ou à en redouter les conséquences. Le gouvernement du monde par la Providence divine est encore un dogme, mais si je puis m’en rendre compte assez facilement par l’intelligence, je serai bien plus enclin à donner mon obéissance à ce gouvernement si je puis surprendre de visu quelques-uns de ses effets sous forme d’événemens miraculeux ou exceptionnels, et apercevoir à l’action quelques-uns de ses ministres. La religion nous révèle l’existence d’un monde surnaturel dont je dois désespérer de rien savoir, à moins que ce monde ne communique avec le nôtre par l’intermédiaire d’esprits angéliques et infernaux, et alors pourquoi la croyance aux esprits serait-elle une superstition ? C’est si peu une superstition que l’église nous l’impose sous toutes les formes, sous la forme des âmes des morts, pour lesquels elle nous apprend à prier ; sous celle des anges, dont elle nous recommande de chercher l’assistance ; sous celle des démons, dont elle nous ordonne d’éviter les pièges. Et comment s’établissent ces communications ? Les rêves ne sont-ils pas le moyen le plus direct, le plus discret, le plus conforme à la nature des esprits lorsqu’ils se rapprocheront de nous, comme l’extase et la vision sont les moyens les plus conformes à notre nature lorsque c’est nous qui nous rapprochons d’eux? La religion nous enseigne que le principe du mal a sa personnification sous la forme d’un esprit de ténèbres auquel nous devons toutes nos mauvaises pensées et tous nos actes pervers. Je ne serai pas superstitieux si j’accepte de confiance l’existence de ce redoutable personnage, mais je serai superstitieux si j’accepte l’existence de sorcières et de sorciers. Cependant, s’il m’était prouvé bien sérieusement qu’il y a parmi nous des personnes qui entretiennent avec Satan les mêmes relations que des sujets avec un prince, il me semble que j’aurais là une manifestation très suffisamment sensible du pouvoir occulte de sa noire majesté pour me tirer à jamais hors de doute. De toutes les pratiques religieuses, la prière est certainement la plus naturelle ; cependant elle n’a sa pleine efficacité qu’à la condition que nous serons sûrs d’être entendus et que nous recevrons une réponse de l’être auquel nous l’adressons sous une forme quelconque. — Eh bien! il y a dans le génie anglais une aptitude qui,