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incident parlementaire a soulevé une question pour laquelle ils aient à faire l’éducation de leur chef. Le loisir et le gaspillage du temps se rencontrent principalement dans les ministères où il n’y a point un courant régulier d’affaires, où la besogne est intermittente, et où elle ne peut recevoir que de la politique un caractère d’urgence. Les ministères de l’intérieur et de la justice sont réputés de véritables eldorados pour les employés, surtout depuis que les décisions de quelque importance sont transmises par le télégraphe et que les expéditions confiées aux bureaux peuvent attendre au lendemain. M. Delangle racontait volontiers qu’étant ministre de l’intérieur, il lui arriva de recevoir avis, au moment de monter en voiture, que le conseil auquel il se rendait était contremandé. Il avait remis ses audiences et avait une bonne heure à dépenser. Il prit avec lui le chef des huissiers et se fit conduire de bureau en bureau. Les garçons de bureau étaient à leur poste, entretenant méthodiquement les feux, afin de « faire de la cendre ; » mais d’employés point ou presque point. Le ministre complimenta ceux qu’il rencontra ; il déposa sa carte cornée sur le bureau des absens. Avant la fin de sa tournée, il avait épuisé ses cartes de visite ; mais aussi pourquoi cette idée insolite lui était-elle venue, à un moment où tout le monde le devait croire aux Tuileries ? Le printemps et le soleil paraissent exercer une influence irrésistible sur les employés et développer chez eux un besoin de locomotion. Un écrivain qu’il est inutile de nommer se rendit, place Beau veau, par un bel après-midi, pour obtenir du ministre de l’intérieur un renseignement de quelque importance. Le ministre, fort courtoisement, demanda successivement trois ou quatre employés : aucun d’eux ne se trouvait dans son bureau. Le ministre, jetant les yeux sur la pendule, se frappa le front : « J’oubliais, dit-il à son interlocuteur, que c’est le moment où l’on revient du Bois : voulez-vous faire une petite promenade à la recherche de votre renseignement. » On remonta l’avenue des Champs-Elysées et une partie de l’avenue du Bois-de-Boulogne. Tous les dix pas, un salut respectueux et une légère rougeur trahissaient un employé pris en flagrant délit de désertion. Quand on eut rencontré et interrogé le fonctionnaire dont on avait besoin, le ministre, se retournant vers, l’écrivain, lui dit, moitié en riant, moitié avec quelque dépit : « Dès qu’il fait un rayon de soleil, c’est ici que je suis le plus assuré de trouver mon personnel. » L’hiver amène avec lui d’autres distractions. Il y a très peu d’années, un jeune licencié en droit, après avoir honorablement subi les épreuves du concours d’entrée, fut admis au ministère de l’intérieur ; on le plaça, par faveur, dans un service qu’on déclara très important et très chargé de besogne, et où il pourrait se faire