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de Thomas Hobbes se chargea de leur donner forme et logique. Elles furent en assez grande faveur sous la restauration, car elles répondaient aux pensées secrètes de catégories sociales puissantes, mais la masse de la nation ne s’y trompa pas. Au fond, athéisme à part, ces doctrines ressemblaient fort à celles que l’église anglicane avait toujours soutenues sur le pouvoir royal; mais maintenant les esprits pieux et sages de cette église voyaient avec terreur leurs doctrines se retourner contre eux-mêmes et protestaient que, s’ils avaient soutenu les droits de la royauté, ce n’était pas pour amener l’église à l’esclavage ou à la destruction. D’autre part, la défiance protestante découvrait assez facilement dans ces doctrines un catholicisme masqué d’athéisme, mais qui, sous ce masque, restait parfaitement fidèle à son principe favori d’autorité. Le catholicisme, en effet, pensaient-ils, ne refusera pas d’admettre ces droits du prince sur les consciences de ses sujets; toute la question pour lui est d’avoir un prince à son gré, et c’est à quoi nous voyons qu’il s’efforce d’arriver avec le roi Jacques II. Cette défiance protestante n’abdiqua pas pendant un long siècle, et lorsque les sectateurs de Hobbes eurent fait place à ceux que l’on nomme les libres penseurs, elle sut découvrir aisément des insolences aristocratiques et des aversions antipopulaires dans le déisme d’un Bolingbroke, et chez un Toland et un Tindal des fermens premiers de catholicisme qui se transformaient en levain d’incrédulité. L’esprit du XVIIIe siècle est bien réellement né en Angleterre, mais s’il n’eût passé en France avec Voltaire et n’eût été propagé par nos écrivains, il ferait aujourd’hui piètre figure dans l’histoire littéraire et philosophique. On ne voit pas que ces libres penseurs, si acclamés chez nous, aient jamais eu la moindre faveur populaire dans leur pays natal, ni même qu’ils y aient exercé une influence sensible sur les classes cultivées de la nation. Il y a mieux, c’est qu’on peut se passer parfaitement d’eux pour comprendre le XVIIIe siècle anglais, car le vrai génie anglais de cette époque est absolument contraire aux tendances qu’ils représentaient, et les noms les plus illustres (sauf un seul, celui de Pope; Swift ne pouvant être pris pour un libre penseur qu’en donnant à ce titre une extension exceptionnelle), de Foë, Richardson, Samuel Johnson, Goldsmith, Fielding même, le démontrent aisément. Y a-t-il aujourd’hui noms plus effacés dans la littérature anglaise que ceux de Toland, de Tindal, de Bolingbroke même ? Ils soulevèrent quelques controverses et produisirent un bruit de scandale, et c’eût été tout, s’ils n’avaient trouvé toujours dans le haut torysme des sectateurs avoués ou secrets. Jusqu’au dernier moment, la libre pensée combattit pour la cause des Stuarts, et cela ne leur porta bonheur en aucune façon.

Voilà la raison pour laquelle l’Angleterre du XVIIIe siècle se montra