a-t-on célébrés autrefois : « tour d’ivoire et tour du Liban ? » Qu’importe ! Je les regarde aujourd’hui, inclinés par l’âge, décrépits, comptant les jours qui leur restent à vivre, mais de bonne tenue, proprets, empressés à saluer ; les hommes fraîchement rasés, les femmes portant des bonnets d’où tout vestige de coquetterie n’a point disparu. Dans ce milieu où les meubles reluisent, où les parquets sont éclatans, où les pensionnaires semblent sortir de leur cabinet de toilette, ma pensée se reporte malgré moi au temps de mes voyages en Orient.
Je revois Hébron, le quartier juif de Jérusalem, Safeth, qui fut Bétulie, et je me rappelle mon séjour à Tibériade, dans cette ville si encombrée d’immondices, si repoussante de saleté, que j’allai dormir dans la cellule d’un ancien bain abandonné. Les israélites de toute provenance semblaient s’y être donné rendez-vous dans les masures qui bordent le lac ; il en était venu d’Algérie, de Russie, d’Allemagne, de Pologne. Vêtus de souquenilles apportées des pays d’où ils émigraient, coiffés du bonnet de fourrure, du vieux chapeau effondré ou de la calotte noire, couvert de houppelandes, de redingotes à brandebourgs ou de robes orientales serrées de la ceinture de laine, ils figuraient un Ghetto universel où toutes les misères sordides se seraient réunies. Maîtres de la petite ville, sans autre surveillance que la leur, toujours menacés par les incursions des Arabes maraudeurs, exposés à toutes les vexations musulmanes, ils vivaient là, dans la métropole des ordures, parmi la vermine, au milieu du bourdonnement des mouches, en présence d’un admirable paysage, en marge d’un lac qui ne leur servait pas aux ablutions et dont ils ne savaient pas profiter, car je n’y aperçus qu’une barque incapable de contenir plus de trois personnes. Ces pauvres êtres, sans souci d’eux-mêmes, étaient si différens de ceux que je voyais dans cet asile de la vieillesse, que je me suis demandé s’ils étaient de la même race, et que j’ai admiré les miracles que peut accomplir le contact de la civilisation. En cette maison, la civilisation est représentée par le directeur, M. Weill, ancien interne de nos hôpitaux, qui a la haute main sur les trois établissemens contigus et qui, en matière d’hygiène ou de soins méticuleux, ne tolère pas une négligence. On peut, comme je l’ai fait, pousser les portes les plus secrètes, on reste surpris et presque reconnaissant d’une propreté à laquelle d’autres institutions similaires ne nous ont point accoutumés.
Des salles qui font à la fois office de fumoir et de salon de conversation reçoivent les plus valides au cours de la journée. On s’y défie sur le damier, on agite les dés dans les cornets du jacquet, on se passionne pour les parties de dominos à quatre, et le temps passe. On ne tolère point les cartes, ni pour les jeux de hasard, ni pour