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établissement destiné aux aveugles, et qu’elle reste en charge à l’hôpital israélite, qui n’est point outillé pour lui donner l’enseignement approprié à son infirmité. C’est grande pitié de la voir : ni famille, ni lumière, ni instruction. Pourquoi le mauvais sort s’est-il acharné sur elle, et que deviendra-t-elle dans la vie, si quelque bonne âme n’en prend soin et ne paie sa pension à l’institution Braille ?

Des chambres isolées, sans communication possible avec les salles, sont réservées aux enfans frappés de maladies contagieuses : rougeole, scarlatine, diphtérie ; mais, si bien combinées que soient les précautions, on ne les a pas jugées suffisantes, et M. Alphonse de Rothschild a fait l’acquisition d’un terrain de 3,000 mètres, mitoyen à l’hôpital qui porte le nom de sa famille. C’est un jardin qui souriait au printemps, lorsque je l’ai visité ; les arbres n’y sont pas jeunes, et leur ombrage s’étend sur les restes d’une grotte en rocaille, près d’une butte qui doit avoir été jadis un labyrinthe et en face d’une maison qui eut de la célébrité. Au siècle dernier, à l’époque où le village de Picpus n’avait pas encore été soudé à Paris par le mur d’enceinte commencé en 1782 et terminé en 1803, cette maison de campagne était celle de Mlle Clairon, que les mauvaises langues avaient surnommée Frétillon. C’est là qu’elle échangeait avec Marmontel ses idées sur l’art dramatique en commentant l’art d’aimer ; c’est là sans doute qu’elle reçut l’épître de Voltaire :

Toi que forma Vénus et que Minerve anime !


et c’est de là que, malgré sa cinquantaine bien sonnée, elle partit pour aller gouverner le margraviat d’Anspach. De cet « asile champêtre, » où « les jeux et les ris » s’empressaient autour de « la fille de Melpomène, » il ne restera bientôt plus qu’un souvenir constaté dans des actes de propriété. La maison sera jetée bas, et à la place on élèvera des pavillons exclusivement destinés à recevoir les enfans atteints de maladies transmissibles. Ce sera un grand bienfait, un bienfait de plus à inscrire au compte des fondateurs et des protecteurs de l’hôpital. La place est bonne, bien choisie, entourée d’arbres qui versent la fraîcheur et chassent les épidémies. On ne saurait trop développer le système de l’isolement : l’idéal serait que chaque espèce de maladie eût son hôpital particulier. C’est un rêve, je le sais ; mais il n’est pas mauvais parfois de rêver tout éveillé.

Lorsque les enfans, en traitement dans leur division spéciale, sont reconnus scrofuleux ou anémiques, ce qui n’arrive que trop fréquemment pour les rejetons de la population pauvre de Paris, on les envoie au bord de la mer, à Berck, dans une maison