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Néanmoins, les salles sont de bonnes dimensions, et si quelques inconvéniens se produisent, c’est dans les annexes du service principal. Pas d’infirmiers, mais des infirmières, ce qui est excellent : la femme est plus compatissante, plus sobre, plus maternelle que l’homme, elle est bien à son office au chevet de la souffrance, et la créature malade, quel qu’en soit le sexe, l’émeut et lui obéit volontiers. Les 46 lits du début se sont multipliés, car aujourd’hui j’en compte 134, distribués en trois divisions séparées, occupées par les hommes, les femmes et les enfans.

On me paraît très hospitalier dans cette maison et l’on n’y redoute pas les séjours prolongés auxquels les hôpitaux cherchent ordinairement à se soustraire. Dans un lit placé près d’une fenêtre, j’aperçois un homme éclairé en pleine lumière ; sa barbe d’un noir bleuâtre, le teint de son visage qui rappelle la patine des bronzes florentins, la sclérotique de ses yeux éclatante et nacrée, lui donnent l’aspect d’une idole des pays primitifs. Je lui parle, il ne me comprend pas : il arrive des côtes du Malabar et ne sait que des idiomes qui nous sont inconnus ; il baragouine quelques mots d’anglais, il peut réciter ses prières en hébreu, et c’est tout. Sa main repose sur les draps et ressemble à une main de momie qui a longtemps trempé dans le bitume. On n’a pas eu à l’interroger sur son mal, qui se dénonce de lui-même par ses ongles bombés et de cette forme hippocratique que les médecins connaissent bien ; le pauvre homme est tuberculeux, la phtisie le dévore, lente ou rapide, nul ne peut le deviner, mais dût-elle le garder là pendant des mois et pendant des années, il y restera ; car ici l’hôpital ne rend ses malades que guéris ou morts ; celui qui souffre lui appartient, et il ne s’en sépare pas aux heures de la convalescence pour faire place à d’autres. Une fois de plus, je répéterai que le système hospitalier de l’assistance publique est très bon ; mais il est insuffisant, il ne peut répondre à toutes les exigences qui l’assaillent. Parfois il est obligé de se montrer cruel et de fermer ses portes, même quand il sait qu’il devrait les ouvrir, car on pourrait doubler le nombre de ses lits avant qu’il pût accueillir tous ceux qui l’invoquent.

L’Indou poitrinaire que j’ai remarqué dans la salle des hommes m’a paru être le seul malade gravement atteint ; les autres avaient figure de convalescens et lisaient des journaux qu’ils font acheter, ou les livres que leur prête la bibliothèque assez bien munie de la maison. Dans la division des femmes, on hospitalise aussi les maladies lentes, et si longues, si longues, qu’elles ne se terminent qu’avec la vie. Une femme jeune encore est étendue ; sous ses cheveux noirs, son visage, qui ne manque point de grâce, est d’une pâleur mate et profonde ; nulle apparence de sang sous cette chair épuisée ; le sourire est très doux et le regard presque joyeux : on y