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maison Rothschild, où il fut apprécié à sa valeur, choyé, consulté, écouté. Ce n’est pas tout que de vouloir faire le bien, il faut savoir le faire ; science parfois difficile, qu’Albert Kohn finit par acquérir, car il avait appris à ses dépens que, de toutes les vertus humaines, la charité est celle qui se laisse entraîner à commettre le plus d’erreurs. Trésorier du comité de bienfaisance en 1848, président en 1852, il avait payé sa bienvenue par un don de 20,000 francs, destinés à une caisse nouvellement créée pour faire des prêts aux ouvriers nécessiteux et même des avances de fonds à ceux qui désiraient s’établir. Le capital disparut rapidement et ne fut jamais remboursé : expérience décevante que Napoléon III renouvela plus tard dans des proportions considérables, qui ne produisit aucun bon résultat, et ne suscita que du mécontentement parmi ceux-là mêmes que l’on voulait aider. La présidence d’Albert Kohn fut féconde, car c’est de 1852 que date la constitution à la fois logique et pratique de la charité israélite à Paris. Sa position dans la maison Rothschild le mettait à la source même des bienfaits ; je crois pouvoir affirmer que là nul refus ne repoussa jamais ses demandes, qu’on lui laissait toute initiative, et qu’il lui suffisait d’indiquer le bien à faire pour que le bien fût fait. Il fut aumônier, au sens originel du mot, et comme il excellait à découvrir ceux qui avaient besoin d’aumônes, il était heureux d’exercer la bienfaisance avec ampleur et sans chômage. Il fut souvent prodigue, parce qu’il était autorisé à l’être, et que jamais une observation ne lui fut adressée sur les dépenses dont profitait la misère d’Israël. Des pauvres qu’il allait visiter, des malades qu’il faisait soigner, des affamés auxquels il distribuait la nourriture, il disait : « Ce sont de nos gens ; » locution singulière que j’ai retrouvée dans le judaïsme de tous les pays où j’ai séjourné.

Grâce aux largesses de la maison Rothschild, il établit une sorte d’assistance publique israélite, qui fut comme une administration centrale autour de laquelle rayonnèrent les œuvres dues à l’initiative privée ou fondée à l’aide de souscriptions provoquées. Albert Kohn quêtait pour les malheureux de sa confession ; il connaissait le moment propice, quand les cœurs sont émus par la naissance d’un enfant, par un mariage qui promet le bonheur, par une mort qui fait éclater la fragilité des espérances d’ici-bas. Aux jours de fête, on était presque certain de le voir apparaître : « Pensez à ceux qui souffrent ! » On lui donnait, et le comité de bienfaisance devenait de plus en plus secourable : les recettes, qui étaient de 47,000 francs en 1841, s’élevaient à 212,000 en 1871 ; je crois que ce dernier chiffre est au moins doublé aujourd’hui ; la pauvreté juive n’est pas éteinte à Paris, mais elle est diminuée. Comme autrefois le patriciat romain, l’aristocratie financière israélite a ses