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l’armée et d’une organisation militaire par l’établissement du service personnel, obligatoire. C’était comme le complément et la suite de l’extension des fortifications belges, et l’idée par elle-même n’avait rien d’extraordinaire ni d’imprévu. A vrai dire cependant, tout a été assez étrange dans la discussion de cette question nouvelle. Ce n’est pas le gouvernement qui a proposé la réforme ; un projet a été présenté par M. le comte d’Oultremont, et le gouvernement n’a fait que s’y rallier, en acceptant tout au moins en principe, non pas le service universel, mais le service personnel et obligatoire dans des conditions déterminées. De plus, à cette occasion, il s’est produit une véritable confusion ou une interversion complète dans les partis. Le ministère conservateur présidé par M. Bernaert, qui a accepté le principe du service personnel et obligatoire, a rencontré la plus vive opposition dans le camp de ses propres amis, parmi les catholiques, et il n’a été appuyé que par les libéraux, qui, il y a quelques années, s’étaient montrés les plus ardens adversaires du service obligatoire. Les raisons de parti et de popularité, les considérations électorales sont probablement le secret de ces volte-face. Bref, le résultat de ces confusions a été que le parlement a repoussé de son vote la réforme militaire proposée par M. le comte d’Oultremont, qui n’était en cela, dit-on, que l’organe de quelques généraux. La Belgique ne veut pas décidément se mettre à la mode du jour, et comme le gouvernement avait pris soin de ne pas se compromettre en évitant de poser une question de confiance, le service obligatoire est seul resté sur le champ de bataille : le ministère n’a pas péri dans la mêlée.

C’est fort bien, mais ce n’est pas tout. Cette discussion a eu un épilogue, qui n’est pas l’incident le moins curieux des affaires belges, qui montre peut-être comment les mauvaises influences se propagent vite. A quelques jours de là, le commandant militaire de Bruxelles, le général Van der Smissen, passant une revue à l’occasion de l’anniversaire de l’avènement du roi Léopold, a réuni ses officiers autour de lui, et, prenant le parlement à partie dans un petit discours de circonstance, il a traité lestement le vote a qui avait déçu leurs espérances, » les « personnes qui parlent de cette grave question, — la réforme militaire, — sans savoir ce qu’elles disent. » C’est la première fois qu’un fait semblable se passe dans la libérale Belgique, et M. le général Van der Smissen, qui est un officier distingué, aurait pu, sans abdiquer ses opinions, éviter de choisir ses exemples parmi les militaires qui manifestent sous les armes.


CH. DE MAZADE.