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qui craint jusqu’ici d’accepter une couronne sans l’agrément de la Russie, ni dans l’Occident, où s’agitent tant de questions délicates, redoutables, de diplomatie ou de gouvernement intérieur, qui sont visiblement suspendues plutôt que résolues. Pour l’Italie elle-même, voilà un inconnu soudain avec la mort du président du conseil, M. Depretis qui peut avoir ses conséquences même dans l’ordre général de la politique. — Devant toutes ces questions qui existent, qui mettent en jeu les rapports des peuples, qui deviennent parfois irritantes et menaçantes, les gouvernemens se tiennent en garde : ils les laissent sommeiller, ils les ajournent le plus qu’ils peuvent, de saison en saison, comme s’ils sentaient le péril des conflits irréparables, et il en résulte pour l’Europe cet état indéfini où rien n’est stable, où la paix n’est qu’un bienfait provisoire, où les gouvernemens ont la perpétuelle préoccupation de leurs relations incertaines en même temps que les embarras de leurs affaires intérieures.

Tout n’est pas précisément facile pour l’Angleterre elle-même, qui était hier encore dans les fêtes du jubilé de la reine, qui est revenue aujourd’hui aux réalités sérieuses, aux affaires positives de sa politique. Gouvernement et parlement, avant de prendre leurs vacances, en sont à s’interroger sur une situation qui, après tout, n’est point sans nuages et sans difficultés. L’Angleterre, il est vrai, parait être délivrée d’une question qui pesait depuis longtemps sur elle, qui a même failli, il y a quelques années, être l’occasion d’un redoutable conflit entre la puissance britannique et la puissance russe. Une commission de plénipotentiaires russes et anglais qui avait été envoyée d’abord à Caboul, qui s’est réunie depuis à Saint-Pétersbourg, aurait réussi, après bien des négociations minutieuses, à régler la vieille querelle de la délimitation de l’Afghanistan. L’Angleterre est satisfaite, peut-être aussi étonnée que satisfaite ; la Russie paraît l’être de son côté. La contestation, c’est bien clair, pourra renaître, elle est presque dans la nature des rapports des deux puissances en Asie, dans la logique de leurs ambitions et de leurs intérêts respectifs ; pour le moment elle est tranchée ou apaisée, elle cesse de diviser ostensiblement les deux nations qui s’observent depuis si longtemps sur ces frontières lointaines. C’est, si l’on veut, un succès, un succès presque inespéré pour la diplomatie de lord Salisbury ; mais, en compensation, ce qui arrive à l’Angleterre à l’occasion des affaires égyptiennes ne peut évidemment être considéré comme un succès. La convention si laborieusement négociée à Constantinople pour régler la situation de l’Egypte à la satisfaction des intérêts britanniques s’est décidément évanouie ; elle n’est plus qu’une œuvre à recommencer ! L’Angleterre, aidée et appuyée par l’Italie, par l’Autriche, par l’Allemagne, a eu beau presser et obséder le sultan ; son négociateur, sir Henry Drummond-Wolf, a eu beau attendre, différer de jour en jour son