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pour parler de l’Esprit des lois et de Montesquieu, ne pouvant assurément souhaiter des guides plus sûrs, un secours plus utile, une occasion surtout plus favorable, nous la saisissons avec empressement.

Nous manquons, on le sait, de renseignemens sur Montesquieu, nous manquons d’anecdotes et de particularités, et si jamais on publie les papiers du château de la Brède, nous n’en aurons pas davantage : ils contiendront des extraits de ses lectures, des commencemens de pensées, des notes sur Bantam ou sur le Japon, sur les usages d’Achem et les coutumes de Macassar, dont l’auteur n’en a mis qu’un trop grand nombre déjà dans son Esprit des lois. Seul, en effet, ou presque seul de ses contemporains, avec Buffon, Montesquieu n’a point écrit de Mémoires sur lui-même, il n’a pas cru devoir « se confesser, » et sa Correspondance, assez maigre d’ailleurs, est assez insignifiante. On peut noter, dans cette réserve même, un premier trait de caractère. Il est de ceux qui ne donnent d’eux au public que leurs ouvrages ; et jusque dans l’intimité, nous savons d’autre part, au témoignage de ses amis, qu’il n’aimait pas à se livrer : il n’a point connu de Mme de Warens dont il ait trahi les complaisances, il n’a confié à aucune demoiselle Volland le secret de ses infirmités ni de celles de Mme de Montesquieu, sa femme. Toutefois, de quelques-unes de ses Pensées diverses, d’un court portrait qu’il a tracé de lui, mais surtout d’une étude attentive de son Esprit des lois, de ses Lettres persanes, de son Temple de Cnide, il y a des indications à tirer, sinon des a révélations ; » et M. Sorel, dans son livre, l’a, en vérité, très habilement fait.

C’est un gentilhomme, tout d’abord, ou qui se croit tel, et qui ne badine point sur l’article de la noblesse. Il parle volontiers de ses « terres, » de ses « vassaux ; » et s’il a l’air de se moquer de sa généalogie, c’est pour prévenir les mauvais plaisans, mais tout de même il la fait faire. Tout Gascon qu’il soit, et philosophe, très dégagé de préjugés, et son scepticisme voisin ou cousin de celui de Montaigne, il ne tient pas moins à descendre des « anciens Germains, » conquérans de la Gaule romaine, possesseurs nés du sol français. Même c’est cette illusion, comme le fait justement observer M. Sorel, qui l’a sans doute jeté dans ces longues recherches sur les lois féodales, ardues, ingrates, assez inutiles à l’objet de son Esprit des lois : dans les vingt et quelque premiers livres de son grand ouvrage, après avoir « retrouvé les titres perdus du genre humain, » il a voulu, dans les derniers, retrouver et fonder en droit ceux des barons de la Brède et de Montesquieu. Pour la même raison, parce qu’il en est et qu’il est sensible à la gloriole d’en être, il exagère volontiers le rôle de la noblesse dans l’état monarchique. Et ne pourrait-on pas dire qu’en plus d’une rencontre le préjugé ne laisse pas d’avoir altéré la justesse de son sens historique habituel, comme dans ces condamnations qu’il a prononcées sur Louvois, sur Richelieu, « les