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droit et centre gauche, comme nous disons en France, bons anglicans sans ferveur exagérée, dévoués royalistes sans zèle indiscret, honnêtes presbytériens sans trop de fanatisme, hommes de compromis de tout plumage et latitudinaires de tout ramage, chrétiens philosophans et philosophes évangélisans. En écrivant ces derniers mots, je pense surtout à sir Thomas Browne, que je rencontre au nombre des correspondans d’Aubrey; ils sont la définition exacte de cet homme éloquent et original. Si, dans cette seconde partie du XVIIe siècle anglais, l’indépendance de la pensée a été représentée avec une dignité sans raideur, c’est bien par sir Thomas Browne. Le latitudinairisme de son esprit lui permet de tout comprendre, la tolérance de son cœur lui permet de tout sentir. Si quelqu’un, à cette heure avancée du siècle, conserve encore un rayon de ce platonicisme qui fut une des âmes de la renaissance anglaise, c’est sir Thomas Browne. Si quelqu’un, dans cette société insurgée du bas en haut contre les erreurs papistes, conserve l’intelligence des doctrines et le respect attendri des pratiques du culte catholique, c’est sir Thomas Browne. Chrétien sincère, il l’est à toutes ses pages, quoi qu’on en ait dit; libre penseur, il l’est au point d’avoir été soupçonné d’athéisme. Personne depuis Bacon n’a été un plus vaillant pourfendeur d’idoles; idoles du forum, idoles du théâtre, idoles de l’académie, s’il n’en est aucune qu’il démolisse bien sérieusement, il n’en est aucune à laquelle il ne jette au moins sa pierre en passant. Eh bien ! cet homme, si tolérant et d’esprit si ouvert, n’hésite pas à admettre que Satan a parmi nous des sujets avec lesquels il est en communication directe et régulière, faux prophètes, devins, magiciens, sorciers et sorcières. En conséquence de cette opinion, il viendra affirmer en justice qu’il y a réellement des sorcières et que les lois édictées contre elles peuvent être appliquées par le magistrat en toute tranquillité de conscience. Il a ainsi imprimé à sa renommée une tache de sang, mais avec une telle bonne foi qu’il est mort sans se douter de son méfait et qu’il a pu échapper au châtiment du remords.

Du commencement des troubles civils à la chute de Jacques II, c’est-à-dire pendant le cours entier de la révolution d’Angleterre, Richard Baxter fut l’oracle des presbytériens, et son nom est encore aujourd’hui cité avec honneur par les théologiens et les historiens. Nombre de nos lecteurs le connaissent certainement par Macaulay. C’est ce Richard Baxter qu’ils peuvent se rappeler aux Assises sanglantes si violemment invectivé par le grand-juge Jefferies : « Richard, Richard, tu es aussi plein de perversité qu’un œuf est plein de nourriture ! » Après avoir été pendant toutes ses vertes années un très ardent pourchasseur de sorcières, cette lumière des dissidens composa, peu avant sa mort, un livre portant ce titre