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douloureusement, et surtout lorsqu’on pense à l’horrible agonie qu’il a eue depuis quelques années. » Elle n’ignorait donc rien ; maison l’eût bien étonnée en l’accusant d’avoir manqué de cœur. Qui avait le droit de se plaindre d’elle ? Ce n’était assurément ni le général Neipperg, ni Lovely, ni Margharitina, qui était sans contredit le plus gâté et le plus heureux de tous les perroquets du monde.

Huit ans après, le général mourait. Elle pleura beaucoup ; elle déclarait à Mme de Crenneville que son bonheur était détruit à jamais. Elle avait beau se dire que le défunt était heureux, qu’il veillait sur elle du haut du ciel, elle ne parvenait pas à se consoler. Cela dit, elle termine sa lettre par ces mots : « Je vais vous ennuyer à présent avec un tas de commissions. » Brun ou blond, il lui fallait quelqu’un ; peu d’années s’écoulèrent, et le comte Neipperg, dont elle avait eu trois enfans, fut remplacé par le comte de Bombelles, à qui elle n’en donna point, mais qui lui semblait « une trouvaille, un vrai saint et si agréable en société ! » Au cours d’un voyage qu’elle avait fait en 1824, elle écrivait de Naples : « On m’écrit que ma fille pleure souvent entre sept et neuf heures, et je crois qu’elle deviendra un des enfans les plus sensibles qui existent, tandis que son frère est un bon gros patapouf qui ne prend pas les choses si à cœur. » Comme on le voit, ces deux enfans tenaient d’elle, chacun à sa manière. A l’un elle avait donné son indifférence, à l’autre ses larmes, et tour à tour, selon les cas, elle pouvait se reconnaître dans cette petite fille qui aimait à pleurer et dans ce bon gros patapouf qui n’aimait rien.

Il faut lui rendre cette justice qu’elle gouverna honorablement son duché de Parme ; elle avait le goût des petits devoirs comme des petits plaisirs. Sous-préfète de la sainte-alliance, elle prêchait à ses sujets toutes les saintes soumissions et les tenait en garde contre les souvenirs dangereux. Ils la chassèrent en 1831 ; elle ne s’en affecta pas trop, elle comptait sur l’armée autrichienne pour lui rouvrir les portes de Parme. Elle s’occupait de l’administration, avait de l’ordre, mettait de l’argent en réserve. Pourtant, elle savait dépenser. On n’est pas impunément la femme de César quatre années durant ; elle avait rapporté des Tuileries l’amour de bâtir et le principe que les souverains doivent embellir leur capitale. Elle fit des ponts, une salle de spectacle, des asiles, une école militaire. Elle avait coutume » de distribuer ses journées par heures, » et sans doute elle avait communiqué cette louable habitude à ses enfans, puisque sa fille ne se permettait de pleurer qu’entre sept et neuf heures. Jusqu’à la fin, elle fut active, allante. On la voyait quelquefois à Vienne, elle passait le Pô pour assister à des revues, et rentrait dans ses états « avec un nez gros comme une jolie poire, » en se demandant si à force d’y appliquer des compresses, il reprendrait jamais sa première