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Il y a des parlemens en Europe où l’on prend feu dès qu’il s’agit du renversement d’un ministre, ou qu’on débat un intérêt électoral ; mais que l’ordre du jour appelle une de ces humbles questions, comme celle de la monnaie, on ne prend plus la peine d’écouter et de s’entendre. Aux États-Unis, c’est toute autre chose ; les abstractions politiques occupent rarement les assemblées ; mais que le positif des affaires, qu’un des élémens de la vitalité nationale soit en cause, l’attention se généralise et devient anxieuse : chacun s’échauffe pour son idée, la presse continue la tribune, et ce bouillonnement déborde en quelque sorte sur le pays. Depuis la crise du Bland-bill, par exemple, tout homme de quelque consistance, magistrat, avocat, rentier, financier, commerçant, croit devoir produire les argumens utiles à la cause qu’il a adoptée et les signer de son nom, et il n’est pas rare de trouver chaque jour dans un même journal et sur le même sujet trois ou quatre lettres qui se suivent et se répètent pendant des mois entiers, sans que le lecteur en soit jamais fatigué, à ce qu’il parait.

Les systèmes qui se choquent dans ce bruyant et dangereux conflit peuvent être résumés en peu de mots. Il n’est pas possible, s’écrient les silvermen, qu’un pays privilégié par la nature consente à neutraliser les trésors inépuisables que son sol renferme ; ressassant les lieux-communs des bimétallistes européens, ils soutiennent que la valeur des monnaies est affaire de convention, et qu’on pourrait relever le pouvoir de l’argent par une entente internationale. Dans le parti opposé, celui du « loyal paiement, » ainsi qu’aiment à s’appeler les goldmen, on proclame que l’établissement d’un 15 1/2 universel est un rêve insensé, que faciliter le paiement des dettes avec une monnaie en baisse de 20 pour 100 et bientôt plus, ce serait le bouleversement des affaires et la honte du pays.

Mieux que tous les raisonnemens, les partisans de l’étalon d’or ont pour eux l’évidence des faits, sur lesquels on ne peut pas se faire illusion. Ces pièces d’argent, que l’état doit frapper chaque mois au minimum de 10 millions de francs, le public ne les demande pas, il n’en a pas besoin ; les banquiers les repoussent de leurs encaisses, ils ne les reçoivent pas en dépôt ; malgré le cours forcé, le ministre des finances ne parvient pas à les faire entrer dans la circulation ; il ne peut pas les utiliser pour le paiement des dettes publiques, qui sont généralement payables en or ; il ne peut pas les substituer aux greenbacks, qui représentent l’or ; les silver certificates qu’il reçoit en paiement restent en grande partie dans son portefeuille. Il est obligé chaque année de faire creuser les caveaux de la trésorerie pour y entasser presque en totalité l’argent qu’il ne cesse de fabriquer, encaisse formidable, dont la valeur officielle dépasse 1,200 millions, et dont le pouvoir effectif n’atteindrait pas