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commandent aux Américains du Sud des sacrifices douloureux. Au Chili, la prime du change a oscillé en ces dernières années entre 25 et 35 pour 100. Par réciprocité, on doit tenir compte au gouvernement de cette différence dans les paiemens qui foi sont faite. Les produits de la douane fournissant au trésor plus des deux tiers de ses recettes, les droits d’entrée, s’ils ne « ont payés en or, doivent être majorés proportionnellement au cours du change. Ce sont là des mesures temporaires en vue d’une évolution économique, commencée énergiquement et dont les efforts sont déjà appréciables. La terre chilienne renferme d’autres richesses que les métaux monétaires ; une vive impulsion est donnée à l’agriculture et aux industries qui en dépendent. On compte déjà quatre grandes fabriques de sucre et on a envoyé des vins jusqu’à Bordeaux.

L’exemple du Chili paraît avoir excité l’émulation dans d’autres régions de l’Amérique latine qui semblaient avoir pour spécialité de fournir à l’Europe les élémens de sa monnaie. Le Mexique notamment, dont le sol est favorable à des exploitations variées, est préoccupé d’approprier à ses ressources naturelles un outillage industriel et agricole. Il y aura dans peu d’années des déclassemens de prix sur plusieurs articles et des concurrences inattendues. De la part du Nouveau-Monde, le commerce européen me semble exposé à bien des surprises ; c’est à lui d’observer et de se mettre en garde.


IV

C’est aux États-Unis d’Amérique que se trouve le nœud de la question monétaire, et c’est là qu’il sera tranché. Un coup d’œil rapide sur l’enchaînement des faits est nécessaire[1] pour caractériser la crise actuelle et faire comprendre les éventualités redoutables qu’elle comporte.

Après bien des remaniemens dans le régime des métaux précieux, une loi de février 1853 avait déclaré l’or étalon unique et monnaie légale ; l’argent, dont le gouvernement se réservait le monnayage, était redevenu marchandise et subissait les lois du marché. Cet état normal devait être profondément troublé par la guerre de la sécession ; les dépenses publiques, qui dépassaient rarement 400 millions de francs (84,578,834 dollars) en 1861[2], montèrent subitement à 2 milliards 874 millions de francs en 1862. Le

  1. La question de l’argent aux États-Unis, jusqu’en 1885, a été posée dans la Revue du 1er juin 1886, par M. Moireau, avec des développemens et une précision qui m’ont dispensé de revenir ici sur les détails.
  2. L’unité monétaire aux États-Unis est le dollar, dont la valeur au poids serait exactement 5 fr. 18 ; toutefois, pour simplifier les comptes, le dollar a été calculé et exprime ici au cours de 5 francs seulement.