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habitans passent d’un état de nudité complet à l’usage des vêtemens européens ; dans ces deux années, la dépopulation dépasse cinquante mille. Le milieu climatologique est change pour eux ; ils contractent des maladies nouvelles. Puis l’eau-de-vie, le plus terrible des poisons pour ces habitans des climats chauds, les décime. En soixante-quatorze ans, de 1779 à 1853, la dépopulation atteint, aux îles Sandwich, un chiffre énorme : 325,000 décès en excédent des naissances ; à Tahiti, 240,000.


VIII

Si maintenant de la Polynésie du sud nous nous dirigeons vers l’Australasie, la Malaisie et la Polynésie septentrionale, nous verrons ces populations primitives directement aux prises avec la civilisation, nous assisterons à ce lent et patient travail de conquête et d’annexion où se révèlent les aptitudes diverses et le génie particulier de la France, de l’Angleterre et de l’Allemagne. Chacune de ces races européennes a son mode de colonisation qui lui est propre ; chacune d’elles obéit à des prévisions qui ne la trompent pas en cherchant à s’étendre dans ce domaine si riche et si fertile de l’Océanie ; chacune aussi obéit à ses instincts naturels dans l’emploi des procédés dont elle use vis-à-vis des races autochtones.

Sur cette question de colonisation, bien des opinions se sont fait jour, bien des erreurs aussi se sont accréditées. Une idée fausse passée à l’état d’axiome et constamment répétée a grande chance d’être estimée juste et d’être acceptée comme telle. C’est un axiome admis que le génie colonisateur de l’Angleterre ; c’est un autre axiome que la France n’est pas et ne sera jamais colonisatrice. Depuis quelques années, il n’est question que de la force d’expansion de l’empire germanique ; on nous le montre en voie de conquérir, par l’émigration, l’influence politique aux États-Unis, débordant sur l’Océanie, envahissant les comptoirs de l’Asie, menaçant le monde de sa prépondérance commerciale, peuple colonisateur par excellence, nous dit-on. Qu’y a-t-il de vrai dans ces assertions ? L’Océanie est-elle à la veille de devenir une vaste colonie anglaise ou une immense annexe de l’Allemagne, qui commence à peine à y prendre pied ? Nous n’en croyons rien.

La lutte, en Océanie, est entre l’Angleterre, personnifiant l’esprit de conquête, de substitution de la race blanche à la race indigène, et la France, en laquelle s’incarne le génie profondément humain qui fait vivre, côte à côte, sur un même sol, deux races distinctes comme à Tahiti, protégeant et élevant la race inférieure au niveau de la race supérieure. L’Angleterre s’impose par la force, en Asie, à des millions d’Hindous ; en Amérique et en