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de très lugubre nature. Comment, en effet, ce roi si savant en démonologie, si versé dans la connaissance de toutes les influences mystérieuses, avait-il eu l’idée malencontreuse de faire retirer le corps de sa mère du Northamptonshire, où elle avait été décapitée et enterrée? Retirer les corps de leurs tombes pour les transporter plus loin est chose qui porte toujours malheur aux familles, dit Aubrey, car quelques-uns de leurs membres ne manquent jamais de mourir, ce qui arriva pour le prince Henri, el aussi pour la reine Anne. Une morne époque que ce règne de Jacques Ier, en dépit, de ses fêtes royales, de ses exploits de gentilshommes, de ses splendides pugeans et de ce magnifique prolongement de la renaissance qui continue jusque sous le règne des puritains les splendeurs de l’Elisabethan era, en dépit de son Shakspeare finissant, de son Ben Jonson, de son Philippe Massinger,. de son Robert Burton. Des signes sans nombre disaient hautement que ce qui avait été permis aux Tudors ne le serait pas aux Stuarts. On sentait venir de formidables événemens, et sous les menaces de cet avenir redouté par les uns avec un abattement mélancolique, espéré par les autres avec une ardeur violente, les esprits et les cœurs, comme baignés dans l’atmosphère d’un orage indéfiniment suspendu, s’affolaient d’inquiétudes ou s’enfiévraient d’impatiences. Admirable terrain moral pour la superstition qu’une telle attente anxieuse. Un homme d’un génie morose, d’un pédantisme vigoureusement, satirique, d’une loquacité vigoureusement éloquente, fait entièrement à l’image de cette société érudite et chagrine, se rencontre juste à point pour en exprimer l’esprit et en nommer le mal aux formes innombrables. Cet homme s’appelle Robert Burton, et il écrit avec longue préméditation un quasi in-folio intitulé : l’Anatomie de la mélancolie, pour prouver que tous ses contemporains, lui compris, auraient eu besoin d’être purgés. Le roi trop calomnié qui préside aux destinées de cette époque en partage lui-même la sombre humeur et aurait pu ajouter à son titre royal celui de premier superstitieux de son royaume. S’il faut en croire Aubrey, sa mort fut en accord assez exact avec l’esprit de son règne. Comme il était assis devant sa cheminée, un diamant qu’il portait au doigt se détacha de son chaton, et immédiatement il expira. Or cette circonstance avait été prédite en deux vers latins avec une précision qui ne laissait rien à désirer :


Sexte[1], verere deos ; vitæ tibi terminus instat
Cum tuus in medio ardebir carbunculus igne.

  1. Jacques Ier du nom en Anglelerre, VIe en Écosse.