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saint-simoniens. La seule œuvre de ce genre dans notre siècle qui ait un caractère philosophique et synthétique, et qui est restée inachevée, a été l’Encyclopédie nouvelle de Pierre Leroux et de Jean Reynaud, en 1838. Or, ces deux philosophes étaient l’un et l’autre des transfuges de l’école saint-simonienne. Ils avaient rompu avec Enfantin lors de la grande crise provoquée par les prédications de celui-ci sur la femme et sur la famille ; mais ils avaient cependant subi profondément, au moins le premier, l’influence de Saint-Simon et de ses vues encyclopédiques. Plus tard, vers 1860, les survivans encore puissans du mouvement saint-simonien essayèrent, sous l’influence cachée d’Enfantin qui ne paraissait pas, sous la direction d’un homme plein d’esprit et de feu, Charles Duveyrier, et sous le patronage des frères Pereire, qui avaient conservé les croyances humanitaires de leur jeunesse, les derniers saint-simoniens essayèrent encore une fois de grouper dans une encyclopédie qui devait être l’œuvre du siècle tous les savans dans tous les genres. On se réunit souvent ; on parla beaucoup, on dina ensemble ; mais rien n’aboutit : mais ce n’en est pas moins la preuve de l’importance que le saint-simonisme attachait à l’idée d’une encyclopédie.

Si nous nous demandons maintenant ce qu’est le positivisme d’Auguste Comte, nous trouverons que le caractère principal de son œuvre est le caractère encyclopédique, et que sa philosophie est une philosophie encyclopédique. La grande Encyclopédie de Diderot et de d’Alembert avait été surtout une œuvre de combat. À ce titre, elle avait pu se faire sous la forme fragmentaire et collective d’un dictionnaire ; car pour une œuvre critique et destructive, on peut s’adresser à une multitude. Le sentiment commun de la liberté et de l’indépendance de la science suffisait. Mais ce que les saint-simoniens voulaient faire, c’était une encyclopédie positive, constructive, synthétique. Après la critique, l’organisation. Or, en s’adressant à tous les savans dans tous les genres, on ne pouvait espérer d’arriver à l’unité, car chacun y eût apporté son esprit particulier. C’est pourquoi la dernière tentative des saint-simoniens a échoué. Quant à s’adresser à une école, à l’école humanitaire par exemple, comme l’Encyclopédie nouvelle de Pierre Leroux, outre que cette école était elle-même partagée en deux tendances bien distinctes (car Pierre Leroux était panthéiste et Jean Reynaud spiritualiste et théiste), une aussi grande œuvre ne pouvait être soutenue par un esprit aussi particulier, et les tendances néo-religieuses de cette école n’étaient pas de nature à alimenter et à faire vivre un dictionnaire scientifique. Il reste donc que l’œuvre encyclopédique ne pouvait être accomplie que par un seul homme. Ce fut l’ambition d’Auguste Comte. Ce que l’Encyclopédie du XVIIIe siècle avait été