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Kant, et enfin l’esprit éclectique lui-même a survécu à la philosophie de M. Cousin. On peut donc garantir d’avance, sans risque de se tromper, que l’esprit positiviste, c’est-à-dire le goût et le choix de la méthode objective en philosophie, survivra à Auguste Comte. On ne fera plus de psychologie subjective sans psychologie objective ; on ne fera plus de métaphysique sans cosmologie, ni de morale sans économie politique et sans la connaissance des faits sociaux. Mais tout cela n’est pas le positivisme, et celui-ci, en tant que système, ira rejoindre les autres.

Non-seulement le système positiviste n’a pas détruit les systèmes antérieurs, comme il aurait dû le faire ; mais lui-même, à son tour, comme toutes les autres doctrines, a engendré des systèmes. Le positivisme orthodoxe d’Auguste Comte n’est plus soutenu que par un très petit nombre de personnes. Littré l’avait désavoué sur presque tous les points ; et sa propre doctrine à lui, comme l’a très bien dit M. Caro, n’est plus guère qu’un empirisme de sens commun. En Angleterre, où l’on est convenu de mettre à l’honneur des positivistes toute une grande école philosophique, on a vu M. Stuart-Mill réintroduire la psychologie subjective de Condillac et de Locke, et ressusciter l’une des hypothèses les plus subtiles et les plus aiguës de la vieille métaphysique, l’idéalisme, c’est-à-dire la négation de l’existence des corps. On a vu également M. Herbert Spencer construire une vaste synthèse tout à fait semblable à celles du passé. La méthode en est bien, si l’on veut, due à l’esprit positiviste, mais le contenu ressemble beaucoup à celui de Spinoza.

Le positivisme se présente donc sous le même aspect que tous les autres systèmes de philosophie. Au premier moment, on croit qu’il va tout remplacer ; mais, à mesure qu’on le connaît mieux et qu’on en aperçoit mieux les lacunes, les anciennes conceptions se maintiennent contre lui ; et lui-même se divise en écoles, en hérésies, et donne naissance à des conceptions qui s’ajoutent aux précédentes. Voilà ce qui s’est passé pour le positivisme, comme pour l’éclectisme, comme pour le kantisme ou le cartésianisme. Si donc nous n’avions à notre disposition que le critérium positiviste, à savoir la cessation des controverses, nous dirions que ce système ne vaut pas mieux que les autres, qu’il ne faut pas de philosophie du tout, mais de la physique, de la chimie, des mathématiques, et rien de plus : ce qui est absolument l’opposé de la pensée d’Auguste Comte. Au contraire, comme nous venons de le voir, le positivisme peut être justifié et même placé haut, si on le considère du point de vue large et conciliateur qui s’applique à tous les systèmes.

Nous avons, dans des travaux précédens, exposé en détail l’histoire