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aussi, car il paraît bien qu’Anthony Wood, entre autres, a largement bénéficié des travaux de ce pauvre homme sans défense qu’il prétendit ne pas connaître après l’avoir mis à contribution pour ses Fasti oxonienses. On voit qu’Aubrey appartenait à la famille de ces laborieux pour lesquels ont été faits les fameux vers :


Sic voe, non vobis, veilera fertis oves...


Ridicule ou non, ce naïf John Aubrey n’en a donc pas moins rendu aux lettres des services réels, et il les a servies vraiment de plus d’une façon, car il a été un des membres fondateurs de la Société royale de Londres, et son nom reste attaché à l’origine de ce corps célèbre comme celui d’un Conrart ou d’un Chapelain à l’origine de notre Académie française.

C’est un an seulement avant sa mort, arrivée en 1697, qu’Aubrey paraît avoir renoncé à sa description du Wiltshire, mais cette résolution semble l’avoir quelque peu embarrassé. Il se trouvait parent par alliance à un degré plus ou moins éloigné du lord Abingdon de cette époque, et il en avait reçu l’hospitalité à son château de Lavington. Aubrey avait d’abord décidé de lui dédier sa description en manière de remercîmens, mais l’abandon qu’il faisait de son œuvre le laissait maintenant sans moyen de prouver sa reconnaissance, et il tenait à la prouver. Alors il vint à penser que, dans sa longue vie de paperassier curieux, il avait assemblé sur le monde invisible et sur les communications de ses habitans avec notre monde visible, — songes, apparitions, présages, — quantité d’extraits de lecture, de notes, de notules, de souvenirs personnels, de souvenirs de conversations, de lettres à lui écrites par nombre de ses frères en superstition. Il réunit tout cela avec un semblant d’ardre sous le nom de Miscellanées, et l’offrit à sa seigneurie par une petite préface dont les termes résignés et respectueux sont vraiment faits pour toucher. Littérairement, ce petit livre est détestable. Il n’y a là ni méthode, ni style, ni mérite de pensée. La part de l’auteur y est d’ailleurs des plus maigres et s’y réduit, çà et là, à quelques lignes de commentaire aussi mince que puéril, par lesquelles il relie, tant bien que mal, pensées et anecdotes.il n’en est pas moins fort curieux tant au point de vue psychologique qu’au point de vue historique. C’est un document d’une valeur réelle en ce qu’il nous présente rapprochées et liées en gerbe les superstitions très nombreuses et très variées qui sévirent sur l’Angleterre de son temps, et qui sont éparses isolément chez ses contemporains. Le Manuel, le Catéchisme du parfait superstitieux anglais au XVIIe siècle, tel est le titre que ce livre devrait porter, et ce titre serait amplement justifié.