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si vrai que les donatistes, qui devaient plus tard s’en plaindre si amèrement, furent les premiers à l’invoquer. Après avoir été condamnés par les évêques réunis à Rome et à Arles, sentant bien qu’ils n’avaient plus de recours possible aux conciles, ils en appelèrent à Constantin. Le prince éprouva d’abord une certaine surprise du rôle qu’on voulait lui faire jouer, et il répondit avec un accent d’inquiétude honnête et sincère : « Ils me demandent d’être leur juge, moi qui tremble devant le jugement du Christ ! Peut-on pousser plus loin l’audace et la folie ? » Mais comme les donatistes insistaient et que les catholiques ne réclamaient pas, il finit par accepter l’arbitrage. Après la conférence de Carthage, ce fut le tour des catholiques de s’adresser à l’empereur. Honorius, qui voulait en finir, les écouta volontiers, et il promulgua, en 414, une loi sévère qui ordonnait de saisir les églises des donatistes, de confisquer les biens de leurs évêques et de leurs prêtres et de les bannir. Quant aux simples fidèles, s’ils étaient colons ou serfs, on les fouettait et on leur enlevait le tiers de leur pécule. Les hommes libres étaient frappés d’une amende qui variait suivant leur condition ou leur fortune, et on les mettait pour ainsi dire hors du droit civil, en leur défendant de faire des testamens et de recueillir des héritages.

Ce qui nous intéresse, c’est de connaître quelle fut à cette occasion l’attitude de saint Augustin. Non-seulement il répugnait par son caractère aux mesures violentes, mais il avait une raison personnelle pour être tendre aux égarés. Lui-même n’avait-il pas partagé leur égarement ? Pouvait-il oublier que, pendant toute sa jeunesse, il était obstinément resté hors de l’église ? « Que ceux-là vous maltraitent, disait-il aux hérétiques, qui ne savent pas avec quelle peine on trouve la vérité, combien il faut soupirer et gémir pour concevoir, même d’une manière imparfaite, ce que c’est que Dieu ; que ceux-là vous persécutent qui ne se sont jamais trompés. Moi, qui ai connu vos aberrations, je puis vous plaindre, je ne peux pas m’irriter contre vous. Au contraire, je me sens obligé de vous supporter aujourd’hui, comme on m’a supporté moi-même ; je dois avoir pour vous la même patience qu’on a eue pour moi, lorsque je suivais en aveugle et en furieux vos pernicieuses erreurs. » Il changea pourtant de sentiment et de langage, et finit par approuver ceux qui voulaient qu’on employât la force pour convertir les hérétiques. Comment l’entrainèrent-ils à leur opinion, dont il était d’abord si éloigné ? Par un argument très simple : ils lui montrèrent le succès qu’on obtenait avec les mesures de rigueur. Ces fiers donatistes, que la discussion trouvait inébranlables, qui se dérobaient opiniâtrement devant elle, la crainte de la loi les faisait rentrer en masse dans l’église ; et, une fois qu’ils y étaient