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importantes était la destruction des livres sacrés des chrétiens ; il avait ordonné aux évêques et aux prêtres, sous les peines les plus sévères, de les remettre aux magistrats. Quelques-uns prirent peur et s’empressèrent de les livrer ; ils furent retranchés de l’église et flétris du nom de traditeurs (traditores) ; d’autres eurent recours à des moyens plus ou moins habiles pour désobéir sans danger. L’évêque de Carthage, Mensurius, qui devait être un homme d’esprit, s’en tira en apportant les ouvrages des hérétiques, qui furent brûlés en grande cérémonie. Ce subterfuge adroit ne fut pas goûté de tout le monde. Les violens, qui se faisaient un mérite de braver ouvertement l’empereur, y trouvèrent à redire, et Mensurius, pour avoir essayé de satisfaire sa conscience sans compromettre son repos, fut mal noté dans leur estime. Mais le mécontentement n’éclata que sous son successeur Cœcilianus. C’était un modéré aussi et un politique, qui devait déplaire aux partis extrêmes ; quelques-uns prétendirent qu’il avait été ordonné par un évêque traditeur, ce qui viciait son élection, et en choisirent un autre. L’église d’Afrique se partagea entre les deux compétiteurs, et il s’ensuivit un schisme qui dura plus d’un siècle.

La querelle au fond était de peu d’importance. Aucune question essentielle de dogme ne s’y trouvait engagée ; mais chaque parti s’était animé par la discussion même. On se haïssait mortellement, plutôt pour s’être très souvent combattu que pour avoir un motif réel de se combattre. À force de répéter les mêmes argumens, qui souvent ne signifiaient pas grand’chose, on avait fini par les croire invincibles. Il y avait plus de quatre-vingts ans que le schisme durait ; il avait résisté aux jugemens des évêques, aux décisions des conciles, aux prières et aux menaces des empereurs, quand saint Augustin devint évêque d’Hippone. Il se donna la tâche de le vaincre, et appliqua, dès le premier jour, à cette œuvre difficile toute l’énergie de son caractère et toute la puissance de son génie.

Quand il entama la lutte, saint Augustin n’avait d’autre dessein que de convaincre ses adversaires. La seule arme dont il voulait se servir, c’était la parole. Il s’y sentait maître, et il avait assez de confiance dans la justice de sa cause pour croire qu’elle pouvait triompher sans appeler la force à son aide. La polémique avec les donatistes occupe une grande partie des discours qu’il prononçait tous les dimanches dans son église et qu’on écoutait avec tant d’avidité : il voulait avant tout défendre son troupeau contre l’erreur et fournir aux fidèles des argumens pour résister à ceux qui voudraient les séduire[1]. Mais ces discours ne restaient pas enfermés dans

  1. cette préoccupation de prémunir les catholiques contre l’hérésie amena saint Augustin à composer une pièce de vers que nous avons conservée. C’est le fameux Psaume abécédaire ; il a reçu ce nom parce que chaque strophe commence par une des lettres de l’alphabet. Il contient un refrain que tout le monde chantait en chœur et des couplets dans lesquels saint Augustin explique aussi simplement que possible toute l’affaire des donatistes. Pour être compris du peuple, saint Augustin emploie la versification populaire. Son vers est l’ancien octonarius, c’est-à-dire le vers de huit syllabes, qui jouissait d’une grande popularité dans le monde romain. Seulement ici les syllabes ne sont plus mesurées, mais comptées, et la rime remplace la quantité. — C’est le principe des vers modernes. — Je cite au hasard deux de ces vers pour donner une idée de cette poésie :

    Custos noster, Deus magne, tu nos potes liberare
    A pseudoprophetis istis, qui nos quærunt devorare.

    La langue aussi est celle des petites gens, pleine de tournures qui allaient prendre place dans les langues romanes, et de mots qui sont devenus italiens ou français. Quel malheur que les musulmans aient introduit la barbarie dans l’Afrique ! Si elle leur avait échappé, il est vraisemblable qu’elle parlerait aujourd’hui une langue voisine de la notre, et qu’elle se rattacherait aux nations qui vivent encore aujourd’hui de la civilisation latine.