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de raison d’être. Pour que les citoyens s’accordent à défendre les intérêts de l’état, il n’est pas absolument nécessaire qu’ils s’entendent sur tout le reste. L’harmonie admet des dissonances, et l’union politique peut exister entre des gens que divisent les croyances religieuses. C’était sans doute le sentiment de Constantin lorsqu’il publia l’édit de Milan ; il croyait alors, et il avait raison de le croire, qu’il n’y avait pas de danger pour l’empire à tolérer tous les cultes et qu’ils pouvaient vivre ensemble sans compromettre sa tranquillité. Mais ici encore les vieilles traditions finirent par l’emporter. Elles avaient poussé de si profondes racines, elles s’étaient si bien emparées de tous ceux qui participaient à l’autorité souveraine, qu’un prince avait peine à leur échapper. Aussi voyons-nous bientôt Constantin préoccupé, comme les autres, de la chimère de l’unité. Il rêve de réunir tous ses sujets dans la même religion ; c’est son désir le plus cher, c’est le but qu’il donne à toute sa vie : « Dieu m’est témoin, disait-il lui-même, que mon premier dessein a toujours été d’amener tous mes peuples à s’entendre sur l’idée qu’ils se font de la divinité ; » et de bonne heure il se mit à l’œuvre pour réussir.

C’est dans l’armée surtout que l’unité paraissait indispensable. Les Romains n’entendaient pas tout à fait la discipline militaire comme les nations modernes ; ils la faisaient moins consister dans l’anéantissement des volontés individuelles que dans leur union vers un but commun. Il était donc à craindre que le moindre dissentiment n’affaiblit cette unanimité. Voilà pourquoi les empereurs s’alarmèrent tant lorsqu’ils virent que les chrétiens faisaient de nombreux prosélytes parmi les troupes ; il était possible à la rigueur de laisser des bourgeois de petite ville embrasser secrètement la loi nouvelle ; mais on ne croyait pas pouvoir le permettre sans danger aux centurions et aux soldats : c’était introduire dans l’armée un élément de discorde et compromettre la dernière force qui restât à l’empire. Ajoutons que la religion tenait une grande place dans les camps. Les aigles, que Tacite appelle les divinités particulières des légions, étaient posées sur un autel, et le général venait y sacrifier tous les matins. On ne combattait qu’après avoir pris les auspices ; on ne remportait aucun succès qui ne fût suivi de quelque supplication en l’honneur des dieux. Ces cérémonies, auxquelles tous les soldats doivent prendre part, et qui ne sont qu’une manifestation solennelle de leur patriotisme, supposent qu’ils ont des croyances communes et qu’ils professent le même culte. Constantin ne voulait pas les supprimer ; mais comme il ne pouvait pas forcer tous les soldats à devenir en un jour chrétiens comme lui, ni obliger les chrétiens à s’associer à des pratiques païennes, il lui fallut trouver un moyen adroit de tout concilier. Voici celui