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êtes, leur disait-il, les évêques du dedans de l’église ; quant à moi, Dieu m’a établi pour être l’évêque du dehors. » Il voulait entendre sans doute qu’il avait reçu la mission de les faire respecter de tout le monde et de veiller à l’exécution de leurs décrets. Mais ces attributions mêmes ne lui suffirent pas, et il se mêla souvent des affaires intérieures qu’il semblait leur avoir réservées. Nous sommes fort surpris de voir un prince qui n’était même pas tout à fait chrétien, puisqu’il ne reçut le baptême qu’à son lit de mort, faire l’office de prêtre aux grandes cérémonies, siéger dans les synodes, et donner aux évêques des conseils qui semblent étranges dans la bouche d’un laïque. « Il les avertissait, nous dit Eusèbe, de n’être pas jaloux les uns des autres, de supporter ceux qui étaient supérieurs en sagesse et en éloquence, de regarder le mérite de chacun comme la gloire de tous, de ne point humilier leurs inférieurs, de pardonner les fautes légères en songeant qu’il est bien difficile de trouver quelqu’un qui soit parfait de tout point. » Voilà une excellente leçon de morale ; mais elle parait bien singulière, quand on songe que celui qui parle s’adresse aux pères du concile de Nicée ! Quelquefois même sa voix est plus rude, et au lieu de conseiller, il commande. Écrivant aux évêques d’Orient pour leur demander d’assister au synode de Tyr, il termine sa lettre par ces mots : « Si l’un de vous (ce que je ne veux pas croire) refuse de m’obéir et de s’y rendre, j’enverrai quelqu’un qui lui fera prendre le chemin de l’exil, pour qu’il sache qu’il ne faut pas s’opposer aux injonctions de l’empereur, quand il travaille à la défense de la vérité. » Grand-pontife pour les païens, évêque du dehors, et quelquefois aussi du dedans, chez les chrétiens, Constantin se trouvait être en réalité le chef de toutes les religions de son empire. Il pouvait se flatter de n’avoir rien perdu du pouvoir qu’avaient exercé ses prédécesseurs.

Ce pouvoir, qu’il tenait d’eux, il était naturel qu’il en usât comme ils avaient fait eux-mêmes. Parmi les maximes de gouvernement qu’il avait recueillies dans leur héritage, il y en avait une à laquelle il ne voulut pas renoncer et qui n’était guère compatible avec ses premières résolutions. Les empereurs romains se préoccupaient beaucoup de maintenir l’ordre dans leurs états : c’était un souci légitime ; mais ils étaient tous tentés de croire que l’ordre ne peut exister qu’entre des gens qui professent le même culte, et que la diversité des religions est une cause inévitable de conflits. Cette opinion a passé de Rome dans les autres états despotiques, et Louis XIV en était aussi fermement convaincu que Dioclétien. Elle se comprend à la rigueur dans les pays où l’idée de la religion se confond avec celle de la patrie ; mais quand elles sont séparées, comme il arrive depuis le triomphe du christianisme, il me semble qu’elle n’a plus