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que le prince rencontrait partout devant lui et qui l’enveloppaient comme d’un réseau, s’emparaient à la longue de son esprit, lui présentaient les choses à leur manière et finissaient par faire tout ce qu’ils voulaient. Nous pouvons être sûrs qu’avec leurs goûts et leurs dispositions, l’édit de Milan n’était pas fait pour leur plaire. Un souverain qui prend de bonne foi la résolution de tolérer tous les cultes dans son empire ne s’engage pas seulement à n’exercer sur eux aucune violence, mais à ne pas gêner leur libre expansion. Ce n’est pas assez de ne pas les faire mourir, il faut qu’il leur laisse les moyens de vivre, c’est-à-dire de s’épanouir et de se développer sans contrainte. D’abord, il doit se mêler le moins qu’il peut de leurs affaires, ne pas essayer de les diriger et de les dominer ; ensuite, il faut qu’il leur permette de se disputer les âmes, ce qui ne va pas sans quelques conflits, et, tant que la tranquillité publique n’est pas menacée, qu’il ne cherche pas à intervenir dans leurs altercations. Il y avait là bien des choses qui étaient contraires aux anciennes habitudes, qui semblaient de nature à restreindre et à gêner l’autorité du prince et qui devaient scandaliser des gens disposés à prendre ses intérêts plus que lui-même et à se montrer plus jaloux que lui de son pouvoir. Il n’est pas surprenant qu’ils aient usé de leur influence pour éveiller et entretenir en lui le désir de ne rien laisser perdre de ses droits, et qu’ils l’aient poussé à reprendre peu à peu ce qu’il semblait en avoir aliéné par l’édit de Milan.

Jusqu’alors, l’empereur avait été le chef incontesté de la religion nationale. Les grands collèges sacerdotaux étaient à-sa discrétion, et nous voyons bien, quand nous avons conservé les procès-verbaux de leurs réunions, comme il arrive pour les Frères Arvales, qu’ils n’étaient guère occupés qu’à prier les dieux pour lui. En sa qualité de grand-pontife, il surveillait l’exécution de toutes les pratiques du culte, et, comme alors il n’y avait pas un seul acte de la vie civile ou politique qui ne fût accompagné de quelque cérémonie religieuse, son pouvoir s’étendait à tout. C’étaient des attributions importantes, qui fortifiaient l’autorité impériale, et auxquelles un prince devait tenir. Aussi voyons-nous que Constantin, même quand il fut devenu chrétien, n’y renonça pas. Il garda son titre de grand-pontife ; il ne manifesta par aucun acte public son intention de cesser d’être le chef suprême d’une religion à laquelle il n’appartenait plus. Sans doute, il jugeait utile, quoiqu’il s’en fût séparé, de la tenir toujours sous sa main. Du reste, les païens, quelque grief qu’ils eussent contre lui, ne songeaient pas à résister à son autorité. Comme l’ancienne religion se glorifiait surtout d’être un culte officiel et national, et qu’elle n’avait pas d’autre raison d’exister, elle tenait à rester sous les ordres de l’empereur et tirait vanité de lui