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avantage pour nous qu’elles nous assurent que ce n’est pas un évêque ni quelque chrétien d’ancienne date qui l’ont rédigé. Ceux-là se seraient bien aperçus de ces expressions suspectes qui pouvaient échapper à un chrétien novice et inexpérimenté. C’est Constantin qui en a eu l’idée et qui l’a fait écrire par ses secrétaires. On peut donc être sûr que l’initiative lui en appartient et il faut lui en laisser tout l’honneur.


II

Il est toujours plus facile de promulguer un édit de tolérance que de le faire exécuter. Les passions religieuses, étant les plus fortes de toutes, ne supportent guère d’être contenues, surtout quand elles sont excitées par d’anciennes luttes, et qu’on sort d’une persécution violente qui a également exaspéré ceux qui l’ont tentée sans résultat et ceux qui en ont souffert. Constantin entreprenait donc une œuvre très délicate ; mais ce qui en rendait surtout le succès fort incertain, c’est que, pour l’accomplir, il n’avait pas seulement à tenir tête à des ennemis acharnés, toujours prêts à se jeter l’un sur l’autre : il lui fallait lutter contre lui-même, vaincre les entraînemens du pouvoir dont il était revêtu, et résister aux conseils de ceux qui l’aidaient à l’exercer.

Quoi qu’on fasse, on prend toujours un peu les opinions du rang qu’on occupe ; un prince, quelque indépendance d’esprit qu’on lui suppose, ne répudie jamais entièrement les traditions qu’il trouve dans l’héritage de ses prédécesseurs ; et, s’il était tenté de les oublier, les gens qui l’entourent se chargeraient de l’en faire souvenir. Dans tous les pays du monde, quelle que soit la forme du gouvernement, les bureaux sont conservateurs. Comme la coutume de faire toujours la même chose finit par en donner le goût, ils répugnent aux innovations qui dérangent les habitudes prises et défendent obstinément les vieilles maximes. Les bureaux ont partout beaucoup d’importance, mais nulle part elle n’est plus grande que dans les états despotiques ; là, ils tempèrent l’autorité des souverains, et quelquefois même ils l’annulent. Ces fonctionnaires qui paraissent si humbles, si soumis, si obséquieux, qui semblent épier la volonté du prince pour l’accomplir plus vite, la plupart du temps, ils lui imposent la leur, sans qu’il s’en doute. Pline disait déjà des premiers césars : « Ils sont les maîtres de leurs concitoyens et les esclaves de leurs affranchis. » Ce fut bien pis encore deux siècles plus tard, quand on eut imaginé toute cette hiérarchie savante de fonctions superposées qu’on appela « la milice du palais. » Ces secrétaires, ces chambellans, ces serviteurs de tout rang et de tout grade,