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Voilà le principe de la tolérance posé avec une merveilleuse netteté. Les chrétiens la réclament pour eux, mais il est clair qu’ils s’engagent en même temps à l’accorder à tout le monde.

Aussi sommes-nous tentés d’abord d’attribuer l’édit de Milan à quelque influence chrétienne. Il nous semble qu’il doit être l’œuvre de ceux qui ont les premiers affirmé le droit pour chacun « d’adorer le dieu auquel il croit. » Et comme cette idée est répétée dans l’édit avec insistance, et que, pour ainsi parler, elle en est l’âme, il nous parait naturel de penser que Constantin l’a écrit sous la dictée des évêques. Il s’y trouve pourtant quelques passages qui ne nous permettent guère d’admettre cette opinion. Souvenons-nous de ces phrases citées plus haut, dans lesquelles l’empereur semble dire qu’il tolère toutes les religions pour ménager tous les dieux, et qu’il espère que, s’ils ont lieu d’être satisfaits, ils s’uniront tous ensemble pour faire le bonheur du prince et de l’empire. Voilà certainement ce qu’un chrétien, un évêque surtout, n’aurait jamais écrit. La pensée d’attribuer quelque puissance aux dieux des divers cultes, de supposer qu’ils jouent un rôle dans le gouvernement du monde, et qu’il importe de se les rendre favorables, l’aurait révolté. Un païen seul pouvait admettre qu’il n’y a pas de dieu qui n’ait son utilité, et qui ne puisse, à son moment, nuire ou servir ; un païen seul pouvait éprouver le besoin de se les concilier tous à la fois. C’est ainsi qu’on venait devoir Galerius, dans l’édit qui mettait fin à la persécution, après avoir fort maltraité la folie des chrétiens, leur demander, en finissant, « de vouloir bien prier leur dieu pour sa santé et le salut de la république. » Ce dieu dont il était l’ennemi mortel, qu’il avait voulu supprimer avec tous ses adorateurs, il lui reconnaissait donc quelque pouvoir, et il croyait à l’efficacité des prières qui lui étaient adressées !

Ainsi ces idées, exprimées à plusieurs reprises dans l’édit de Milan, doivent avoir une origine païenne, et parmi les païens eux-mêmes, on en connaît à qui elles semblent plus particulièrement convenir. Précisément à l’époque qui nous occupe, il s’était formé un parti composé de gens modérés, humains, amis de la paix religieuse, et qui auraient bien voulu qu’on pût comprendre le christianisme dans cette sorte de fusion de tous, les cultes qui s’était faite à Rome depuis l’empire. Il y avait un moyen d’y arriver qui semblait facile. Presque tous les esprits distingués de ce temps admettaient l’existence d’un Dieu suprême : il s’agissait d’abord de s’en faire une idée assez élevée, assez large, pour qu’elle pût convenir au Dieu des chrétiens comme à tous les autres, puis de lui donner un nom vague qui n’alarmât personne et pût contenter tout le monde : on l’appela Divinitas. C’était un terme que les chrétiens pouvaient accepter sans scrupule, et dont