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de donner. Son inaction, affectée d’ailleurs, en était le meilleur commentaire[1].

Ces déclarations répétées causèrent, même parmi les ennemis de la France, un étonnement général. Les petits princes de l’empire n’étaient pas accoutumés à être traités avec tant d’égards. Peut-être même, toujours prêts, comme ils l’étaient au fond, à suivre la fortune, aimaient-ils qu’on les dégageât de toute responsabilité en pesant sur leur faiblesse et en leur forçant ouvertement la main. L’Autriche, d’ailleurs, y mettait moins de scrupule, et ils avaient tout lieu de penser qu’en refusant d’user de tout moyen de contrainte, la France ne faisait qu’en laisser l’usage à Marie-Thérèse, qui n’hésiterait pas à s’en servir. Mais, chez les amis de la France, à qui les dernières victoires venaient de rendre courage, ce fut une véritable consternation. — « Les bras me tombent, » écrivait à Conti lui-même le malheureux Chavigny, qui restait encore en Bavière dans la plus fausse situation du monde, essayant d’empêcher le jeune électeur de compléter sa défection en prenant activement parti contre nous : — « J’avoue que je ne sais pas autre chose que de jeter mon bonnet par-dessus les moulins… Que peut-on espérer de cette espèce de déclaration que Votre Altesse Sérénissime devra faire de ne gêner en rien l’élection ? .. N’eût-il pas été plus simple de garder un silence qui aurait au moins tenu les esprits en suspens ? J’en demeure là, de crainte de m’émanciper trop… La cour de Vienne aura ses coudées franches, elle disposera à son gré des cercles qui n’eussent osé remuer, tandis que nous aurions fait bonne contenance : le grand-duc sera empereur, et il ne le sera pas plus tôt qu’il entraînera l’empire et le fera déclarer. A quoi serviront les prodiges du roi de Prusse en Silésie ? .. Quel parti peut-il prendre, sinon de faire sa paix, et il ne faut pas douter que la cour de Vienne et ses allies ne lui fassent un pont d’or… Je n’ai pas peine à pénétrer l’esprit qui dirige notre politique : nos bureaux sont maîtres du fond comme de la forme ; leurs préjugés nous persécutent au-dedans pendant que l’opinion nous détruit au dehors[2]. »

Chavigny n’en disait pas assez : ce n’étaient pas les bureaux du ministère seulement, devenus en effet plus que froids sur la suite à donner à l’élection de Francfort, c’étaient tous les ministres français, les généraux et le roi lui-même, qui entraient volontiers à la suite de d’Argenson dans ses vues de neutralité généreuse et d’impartialité

  1. D’Argenson à Conti, 29 mai. — Conti à d’Argenson, 10 juin. — Note de d’Argenson, 25 juin 1745. (Correspondance d’Allemagne. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. Chavigny au prince de Conti, 15 juin 1745. (Correspondance d’Allemagne. — Ministère des affaires étrangères.)