Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/520

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déclaration de guerre sollicitée par Frédéric, toujours promise, toujours annoncée, était renvoyée du jour au lendemain[1].

Cette obstination à se leurrer d’un frivole espoir eut encore pour la cause des alliés en Allemagne une conséquence plus grave : elle empêcha complètement Conti de faire la démonstration que tout le monde attendait et dont l’effet eût été d’enlever l’élection de haute lutte. Toutes les fois, en effet, qu’Auguste avait l’occasion, par lui-même ou par son favori Brülh, de laisser entrevoir au ministre de France qu’il ne serait pas absolument éloigné de suivre ses conseils, il se pressait d’ajouter qu’il n’accepterait jamais une grandeur personnelle que si elle lui était déférée par le vœu libre et spontané des princes électeurs. Il se refusait d’avance à toute complicité même indirecte dans une tentative quelconque de contrainte et de coercion. Vicaire intérimaire de l’empire, il ne porterait pas lui-même atteinte à l’indépendance de sa patrie, et le meilleur moyen, même pour la France, de faire accepter son choix, c’était de se disculper d’avance de toute idée d’entreprise sur la liberté du corps germanique. Ces paroles généreuses trouvaient en d’Argenson un auditeur disposé d’avance par la tournure naturelle de son esprit à entrer dans de telles vues ; car, se confiant volontiers, on le sait, à l’action de sa bonne foi et de sa sincérité dans les affaires humaines, il répugnait à l’emploi de la force et doutait de son utilité. Il ne fit donc point difficulté d’envoyer à Conti un projet de déclaration qui devait être publié dès que la diète songerait à se réunir. Ce manifeste portait en substance que le roi de France, ne voulant gêner en rien l’élection impériale, ne laissait ses troupes dans l’empire qu’afin d’empêcher la reine de Hongrie d’user de violence pour forcer les délibérations de la diète électorale, et que Sa Majesté, ne voulant point employer ses armes pour retarder l’ouverture de la Diète, croyait devoir laisser à ses amis dans l’empire et aux intéressés le soin de pourvoir à l’élection par les moyens convenables conformes aux constitutions de l’empire.

Et, dans une note de sa main, envoyée pour commenter ce projet d’instruction, il ne faisait pas difficulté d’ajouter que la présence de l’armée française en Allemagne avait pour but d’agir sur les esprits plutôt métaphysiquement que physiquement, en les ramenant par l’opinion plus que par la crainte. Conti, à qui, au fond, cette attitude convenait (car il craignait toujours de s’avancer, ne sachant ce qu’il avait ni devant ni derrière lui), ne se fit pas faute de publier d’avance et même d’étendre les assurances qu’on lui commandait

  1. Correspondance de Saxe, juin 1745, passim. — D’Argenson à Valori, 15 juin 1745. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)