Ce qui contribuait d’ailleurs plus que toute chose à rendre ses menaces vaines, c’est qu’il avait lui-même l’ordre d’en tempérer l’effet, en continuant à presser Auguste d’accepter la candidature au trône impérial en concurrence avec le prétendant autrichien. C’était à coup sûr un étrange entêtement que de persister à transformer en rival de Marie-Thérèse le prince même qui se rangeait ouvertement dans son alliance et dont les troupes servaient sous ses drapeaux. Mais cette chimère, qui prêtait à rire et causait beaucoup d’impatience à Frédéric, était toujours chère au ministère et surtout au ministre français, qui ne pouvait se décider à en faire le sacrifice. D’Argenson en était véritablement épris ; ce qui le séduisait, c’était la preuve de grandeur d’âme que donnerait le roi de Prusse vainqueur en tendant la main à son ennemi vaincu pour lui offrir une couronne. — « Cela serait beau, généreux et digne d’un grand prince, » écrivait-il à Valori. — Auguste III n’avait aucune raison de compter sur la générosité de Frédéric, et encore moins d’envie de s’y fier. Mais le vœu exprimé par la France lui offrait un moyen de se faire ménager par elle ; aussi se gardait-il de lui ôter absolument toute espérance. Dans ses entretiens avec Vaulgrenant, il avait toujours soin d’établir qu’en s’alliant avec l’Autriche pour résister à l’ambition de son voisin de Prusse, il avait réservé la liberté de son vote électoral, qu’il était maître d’en disposer à son gré, et d’accepter même l’empire pour lui-même s’il jugeait que le salut de l’Allemagne fût intéressé à son élévation. Était-ce tout à fait un jeu, et ce langage ne renfermait-il pas une part de sincérité ? Auguste ne gardait-il pas, en effet, une arrière-pensée de se réserver une chance personnelle, pour le cas où l’élection d’un étranger comme François de Lorraine serait reconnue (ainsi que beaucoup de juristes allemands le soutenaient) contraire aux constitutions de l’empire et aux prescriptions de la Bulle d’Or ? Qui pourrait le dire ? Qui peut jamais savoir ce qui se cache de détour et de duplicité au fond, d’une âme peureuse ? Mais, en attendant, ce faux-fuyant lui permettait de se maintenir avec le ministre français sur le terrain d’une négociation indéfiniment prolongée. Tant qu’il n’avait pas opposé aux instances de la France une réponse décidément négative, Vaulgrenant ne quittait pas Dresde, le ministre de Saxe à Versailles ne recevait pas ses passeports, et la