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fois ce voisin et ce parent détesté mis à terre (moyennant un dernier effort qu’il dépendait de lui de rendre plus heureux que les autres), il trouverait dans ses dépouilles de quoi agrandir son électorat. Ni Andrié, qui rejoignit George à Hanovre, ni le jeune Podewils, qui quitta La Haye pour venir le retrouver, ne purent tirer de lui une parole significative[1].

A Paris, les ouvertures de Frédéric eurent encore moins de succès. Chambrier n’avait pas mal jugé quand il prévoyait qu’exaltée par sa victoire et se croyant revenue aux jours de Louis XIV, la cour de France se montrerait moins abordable que jamais, et il ne fut pas longtemps sans avoir à signaler dans les réponses qui lui furent faites ce ton de hauteur et d’enflure qu’il avait prévu. Ce ne fut pas, à la vérité, chez d’Argenson, toujours disposé à bien prendre ce qui venait de Berlin ; mais Louis XV était très justement fier de la part qu’il avait eue à la journée du 11 mai ; il se regardait désormais comme l’égal en gloire d’un confrère auquel il s’était toujours cru supérieur par l’éclat de son rang. Il trouvait un peu court et un peu sec le compliment de deux lignes mis par Frédéric en post-scriptum de l’annonce de sa propre victoire. Puis Frédéric n’avait-il pas dit tout haut, à plusieurs reprises, sur ce ton gouailleur qu’on lui connaissait, que les événemens de Flandre étaient sans doute très beaux ; mais que, quant à lui et pour le succès de la cause commune, il y attachait aussi peu d’importance qu’à ce qui se passait au Monomotapa, à Pékin ou sur le Scamandre ? Enfin, se raillant un peu des adulations dont Louis XV était l’objet, il tenait à faire voir que, les méritant peut-être mieux, il avait le bon goût de ne pas les rechercher. — « Voltaire, écrivait-il, veut faire un poème sur ma journée du 4 qui fait un grand tintamarre dans le monde ; priez le poète de n’en rien faire. Je préfère, s’il veut me faire plaisir, qu’il m’envoie un chant de la Pucelle. »

On ne manquait pas de redire ces bons mots à Versailles, car Frédéric parlait et riait toujours si haut, que tous les échos des commérages d’Europe en retentissaient. — « Le roi de France, écrit Chambrier, est un peu fâché que Votre Majesté tourne en ridicule sa guerre de Flandre : le gain de la bataille de Fontenoy lui a rendu les oreilles délicates ; on m’a parlé de tout cela le cœur un peu gros. » — Et d’Argenson lui-même, malgré sa résolution de ne jamais douter de l’amitié prussienne, était troublé de ces incartades. — « Quelle tête, écrivait-il, que ce roi de Prusse ! Ceux qui l’ont vu le jour de la bataille disent qu’on ne vit jamais de si

  1. Pol. Corr., t. IV, p. 191, 197, 199. — Droysen, t. II, p. 517, 518. — Die Englische Friedens Mittlung in Jahre 1745, par Ernest Borkbouski. Berlin, 1884, p. 78.