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étaient adonnés tout entière à leur glorieuse expédition de Flandre. Loin de songer à enlever à Maurice un seul soldat pour renforcer Conti, ils n’auraient pas vu sans regret un mouvement en avant trop prononcé de l’armée du Rhin qui les aurait exposés, suivant la juste et piquante expression de Frédéric, au risque de s’enfourner en Allemagne. Frédéric, de son côté, ne pouvant espérer pour lui-même la dignité suprême, ne voyant aucun candidat à son gré parmi ceux qui y pouvaient prétendre, ne maintenait son opposition à l’élection de François de Lorraine que comme un élément de négociation et un moyen d’échange le jour où il aurait des conditions de paix à débattre avec son épouse. C’était une valeur à porter en compte dans le marché qu’il espérait bien toujours conclure par l’entremise et avec le courtage de l’Angleterre. En un mot, conquérir la Flandre pour l’un des monarques, conserver, étendre la Silésie pour l’autre, c’étaient là les objets de leur principale et plus chère pensée. La comédie électorale qui allait se jouer à Francfort n’occupait que la moindre partie de leur attention et de leurs vœux.

Et ce qui rendait plus languissant et encore moins efficace le concours apporté par les deux puissances à un résultat qui ne les intéressait plus qu’en apparence, c’est que leurs sentimens mutuels leur étaient parfaitement connus, et que chacune lisait clairement dans le fond de l’âme de l’autre. Il n’était pas, dans un des centres politiques d’Allemagne ou d’Europe, un seul agent français qui ne soupçonnât les négociations, à peine cachées, entretenues par Frédéric avec l’Autriche par l’intermédiaire de l’Angleterre, et ne s’attendit à apprendre d’un jour à l’autre qu’une paix particulière était conclue par lui au prix de l’abandon de son allié. D’Argenson restait presque seul à compter encore sur la fidélité de son allié, et encore, quand on lui apportait des preuves trop évidentes du contraire, il ne trouvait, pour s’obstiner dans sa confiance, d’autre raison à donner que celle de sa phrase favorite : — « Le roi de France aime encore mieux être trompé que de tromper lui-même. » — Dans cette conviction, aucune armée française n’osait faire un pas en Allemagne de crainte d’être prise au piège. Même disposition à Berlin, Frédéric ne se faisant aucune illusion sur la répugnance que les souvenirs de Prague avaient laissés dans le cœur des Français pour toute aventure analogue. Tout en sollicitant de Conti un coup d’audace, il se gardait bien d’y compter et se mettait, à tout événement, en mesure de s’en passer. Chacun restait ainsi en observation et comme en arrêt, de peur d’être dupe de l’autre. Mettez maintenant en présence de cette incertitude, de cette paralysie des deux armées victorieuses, une résolution intrépide comme celle de Marie-Thérèse, jamais intimidée,