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mettre la main sur la ville impériale où le collège princier devait se réunir, l’élection, ne pouvant plus s’opérer qu’avec sa permission et sous ses yeux, ne se fût terminée que suivant son bon plaisir. L’expérience récemment faite par Belle-Isle prouvait avec quelle docilité l’urne électorale de Francfort se prêtait à reproduire le nom dicté par la victoire. On ne voit pas trop qui aurait gêné Conti dans l’accomplissement de ce coup de force, et encore moins qui l’en eût fait repentir. Il n’avait que peu de choses à craindre du duc d’Arenberg, qui ne ramenait de Flandre qu’un corps d’armée, en assez mauvais état, de trente à quarante mille hommes, et n’avait plus aucun secours à attendre des Anglais, déconcertés et dispersés. Fontenoy avait rendu un nouveau Dettingue impossible. Sur sa gauche, du côté de la Bavière, il avait moins encore à redouter, et il dépendait de Frédéric de le délivrer à cet égard de toute inquiétude. Il suffisait que ce favori de la fortune voulût bien tenir la parole qu’il avait donnée fièrement à Valori quand il annonçait que, vainqueur, il suivrait sa victoire. En poussant hardiment sa pointe, soit sur Vienne, à travers la Bohème et la Moravie, pour inquiéter Marie-Thérèse dans ses propres foyers, soit sur Dresde, pour lui enlever l’appui des Saxons, il ne laissait plus à la reine vaincue aucune troupe disponible qu’elle pût diriger sur Francfort, où la domination de Conti serait ainsi devenue incontestée.

Que manquait-il donc aux deux souverains alliés pour assurer à leur politique ce nouveau succès, qui semblait en quelque sorte venir au-devant d’eux ? Une seule chose, mais essentielle : il leur manquait la volonté. J’entends cette volonté sérieuse, qui est décidée à proportionner les moyens au but, et résignée aux sacrifices nécessaires pour l’atteindre.

J’ai expliqué, à plus d’une reprise, par quel retour d’opinion l’exclusion de la maison d’Autriche du trône impérial, premier objet de la guerre dont souffrait l’Europe, et poursuivie naguère avec ardeur par les deux puissans ennemis de Marie-Thérèse, n’arrivait plus maintenant qu’en seconde ligne dans leurs préoccupations et dans leurs préférences. Chacun d’eux avait désormais en vue un but d’ambition plus direct, plus personnel et en quelque sorte plus tangible que la revendication abstraite de l’indépendance du saint-empire. Si la France s’attachait bien encore, avec une molle obstination, à refuser à Marie-Thérèse le titre qu’avaient porté ses aïeux, c’était par un engagement de faux point d’honneur et dans l’espoir de l’humilier encore plus que de l’amoindrir. Au fond, Louis XV et ses ministres reconnaissaient, sans se l’avouer à eux-mêmes, que la tâche de créer et de soutenir un empereur de leur façon leur imposait plus de charges qu’elle ne leur donnait de force réelle. Enivrés d’ailleurs de leur victoire, le prince, comme les généraux,