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qui, même chez les âmes les plus fermes, précède les heures critiques que parvint à ses oreilles l’écho de la victoire française. Il connaissait trop bien le cœur humain pour ne pas apprécier le puissant appui moral qu’un tel exemple pouvait lui prêter, en rendant courage à son monde et en portant le trouble dans l’âme de ses adversaires. Puis, comme il nourrissait toujours l’espérance d’obtenir une paix favorable par l’intermédiaire de l’Angleterre, et qu’il entretenait même sous main, dans cette pensée, des relations constantes avec le ministère anglais, tout ce qui pouvait faire repentir le roi et la nation britannique de leur ardeur belliqueuse secondait, au fond, ses desseins secrets. Mais, d’autre part, il avait blâmé tout haut, avec le ton de dédain sarcastique qui lui était familier, la pointe de Louis XV sur les Pays-Bas ; il en avait d’avance prédit l’échec et décrié les résultats. Le moindre pas fait en Allemagne par le prince de Conti l’aurait encore mieux accommodé que la conquête de la Flandre tout entière. La victoire de Fontenoy faisait mentir ses oracles et engageait la France dans une voie dont il aurait voulu à tout prix la détourner. Sa satisfaction fut donc loin d’être complète, et, eût-elle été même plus vive au premier moment, la réflexion ne devait pas tarder à la tempérer ; cette succession de sentimens est visible dans deux billets écrits par lui à vingt-quatre heures de distance, au reçu de la dépêche qui annonçait l’événement :

« Mon cher Podewils, écrit-il le 21 mai, je suis dans la joie de mon cœur de ce que vous venez de m’apprendre. Je me flatte que la fierté de mon cher oncle sera un peu tempérée par la nouvelle de la défaite de son parti… Je suis persuadé que cela fera nécessairement que les fiers Anglais seront obligés de nous rechercher. » Puis, le lendemain : « Mon cher Podewils, j’ai en le temps de réfléchir depuis hier sur la bataille de Leuze[1]. Je trouve que cet événement nous est sans doute avantageux : 1° parce qu’il donnera des sentimens pacifiques aux Hollandais ; 2° parce qu’il peut enfin ouvrir les yeux des Anglais sur leurs véritables intérêts ; 3° parce que toutes les puissances seront obligées de convenir que, lorsque je suis uni avec la France, quoi qu’elles puissent faire, nous aurons toujours la supériorité d’un côté, et que, par rapport à ce principe, leur fierté s’adoucira avec moi. Mais il n’est point apparent que cette bataille nous fasse une diversion considérable. Les Hollandais crieront miséricorde, et on tirera de l’armée du duc d’Arenberg quelques troupes qui seront remplacées par des Saxons… Indépendamment de tout cela, cet événement me flatte et m’encourage, et me donne l’espérance de trouver cette année la fortune plus

  1. C’est le nom qu’il donne à la bataille de Fontenoy.